Présence à soi

Le consentement

L’article que j’ai publié à propos des « 3 pôles » (ici) m’a donné envie d’approfondir la question du consentement dans la sexualité.

Le consentement, c’est plus compliqué que simplement « oui c’est oui et non c’est non ». La grille de lecture des « 3 pôles » a déjà montré qu’il faut s’interroger : quelles sont les parts en moi qui consentent ou ne consentent pas ?

Le but n’est pas ici de faire le tour du sujet et d’aborder tous les aspects psychologiques ou sociologiques du consentement, mais d’en mettre en lumière quelques facettes. Si le consentement s’applique à tous les types d’orientation sexuelle, certains des aspects examinés ici sont plus spécifiques aux relations hétérosexuelles.

La dette de sexe

Ci-dessous, nous verrons que nos conditionnements et croyances interfèrent sur notre libre arbitre et que notre consentement n’est pas toujours aussi libre qu’il en a l’air.

Il arrive que le pôle mental soit excité et ait envie de sexualité, alors que le cœur ou le sexe n’y sont pas réceptifs. Mais il existe un autre cas de figure plus particulier : quand le mental consent à la sexualité alors qu’il n’en a pourtant pas plus envie que les deux autres pôles.

Une enquête menée en Suisse en 2018 auprès de jeunes âgés de 26 ans en moyenne révèle que, lors d’aventures d’un soir, 53% des femmes interrogées ont accepté des relations sexuelles sans désir[1].

Elles ont consenti à des pratiques sexuelles, non par envie mais par redevabilité, parce qu’un homme leur a offert un verre ou un dîner au restaurant, ou les a hébergées en fin de soirée.

Selon cette étude, si ces jeunes femmes ont accepté cette contrepartie sexuelle, ce n’est pas forcément parce qu’elles n’ont pas su dire non ou manquaient d’assertivité. C’est parce qu’elles avaient intégré la croyance qu’en acceptant ces faveurs des hommes, elles créeraient chez eux des attentes sexuelles. Et qu’ayant implicitement accepté être à l’origine de ces attentes, elles devaient y répondre.

Cette dette de sexe repose sur une croyance plus large, qui est que les hommes auraient, par nature, plus de besoins sexuels que les femmes[2].

Bien qu’il soit scientifiquement démontré qu’il n’y a pas de différence biologique entre l’importance des libidos masculine et féminine[3], cette croyance reste tenace.

Partant du postulat que les femmes ont peu de motivation spontanée pour la sexualité, les hommes croient devoir acheter cette motivation en leur offrant des faveurs en échange.

D’un côté, les femmes se sentent obligées de répondre aux attentes sexuelles présumées des hommes sans en avoir toujours envie. De l’autre côté, les hommes ont intégré qu’ils sont censés être toujours disponibles et intéressés par le sexe, et que s’ils offrent une faveur à une femme, il est attendu d’eux qu’ils nourrissent des attentes sexuelles à son égard.

Hommes comme femmes sont donc soumis à des attentes de comportements sexuels dont il ne leur est pas si facile de s’abstraire.

Le consentement sexuel n’est donc pas qu’une question de responsabilité individuelle, il s’inscrit également dans le cadre d’un système sociétal plus global.

Ce système influence les choix conscients et inconscients de notre mental et, par conséquent, altère la liberté de notre consentement.

A cela s’ajoutent différents facteurs participant à créer un rapport de pouvoir entre les partenaires et influant sur leur consentement : « Il faudrait donc toujours pouvoir évaluer comment les différences d’âge, de profession, de notoriété, de force physique, de capital économique ou culturel, de personnalité, de beauté, de santé physique et mentale… participent aux dynamiques de pouvoir d’une relation »[4].

Chacun(e) a dès lors à prendre conscience de l’ensemble de ses multiples conditionnements personnels (classe sociale, origine, genre, religion, éducation…) et à s’en libérer afin que son consentement soit le plus possible libre et éclairé.

L’expression du consentement

Le consentement sexuel peut être donné de plusieurs manières, verbalement ou non, et de façon directe ou indirecte.

S’il peut prendre des formes variées, le consentement doit être exprimé de façon claire. Une absence de refus n’est pas synonyme de consentement. Le dicton« qui ne dit mot consent » est définitivement à proscrire, tant il est parfois difficile de dire non (sidération, pression, intimidation, ou simple manque d’assertivité…).

Si le consentement peut être exprimé corporellement, les réactions physiologiques involontaires, telles que l’érection, la lubrification vaginale ou l’orgasme, n’impliquent pas forcément une acceptation de la relation sexuelle. Pour reprendre la grille de lecture des « 3 pôles », ce n’est pas parce que la zone du bassin est réceptive que le cœur ou le mental sont d’accord.

Et si vous avez l’impression d’être dans cette « zone grise » où vous pourriez vous méprendre sur les envies de votre partenaire, vérifiez directement auprès de lui/elle afin de s’assurer qu’il/elle est réellement partant(e).

La roue du consentement

Une caractéristique du consentement sexuel est qu’il porte sur une action spécifique et bien délimitée. Par exemple, marquer son accord sur le fait de recevoir un baiser n’implique pas une autorisation d’être caressé(e), et encore moins une relation sexuelle. Une acceptation n’en entraîne pas nécessairement d’autres.

S’il est important qu’il y ait consentement, encore faut-il donc savoir sur quoi il porte. C’est parfois plus subtil que simplement déterminer une action, ainsi que l’illustre « la roue du consentement » mise au point par le Dr Betty Martin[5].

Il s’agit d’un outil qui permet de mieux saisir les mécanismes en jeu lors du donner ou du recevoir entre deux partenaires. La roue est divisée en quatre cadrans :

Les deux cadrans du haut sont relatifs à la personne active : soit elle agit pour le bien-être de son partenaire (« servir »), soit elle agit pour son propre bien-être (« prendre »).

Les deux cadrans du bas sont relatifs à la personne passive : soit elle accepte le cadeau que lui fait le partenaire actif (« accepter »), soit elle autorise le partenaire actif à agir avec elle en vue de son propre bien-être (« permettre »).

Les quatre positions à l’intérieur de la roue sont saines et l’idéal est de pouvoir les occuper toutes à tour de rôle et de s’y sentir à l’aise : parfois donner, parfois recevoir, parfois exprimer ses envies, parfois avoir envie de faire plaisir à l’autre.

En revanche, dès que l’on quitte le périmètre de la roue du consentement, on est en présence de la face sombre des quatre cadrans :

  • Dans la dynamique « servir/accepter », quelqu’un qui donne en excès va étouffer l’autre qui n’a peut-être rien demandé et ne souhaite pas forcément recevoir ce cadeau, puis risque de se poser en victime de l’ingratitude présumée de l’autre.
  • A l’opposé, une personne qui reste cantonnée dans le rôle de receveuse aura un profil de profiteuse et d’égoïste.
  • Dans la dynamique « prendre/permettre », si quelqu’un prend, se sert auprès de l’autre sans se soucier de son accord, il y a abus, voire prédation.
  • Inversement, si une personne tolère trop facilement que l’autre prenne son plaisir à travers elle, sans trop s’interroger si cela lui convient réellement, elle se trouve en position de victime.

Le massage illustre bien la dynamique du donner/recevoir : la personne qui propose un massage peut être dans une intention altruiste de faire plaisir à l’autre. Il se peut également qu’elle propose ce massage parce qu’elle a envie de toucher le corps de l’autre (ou un mélange des deux).

Ces deux motivations peuvent être toutes les deux légitimes. Par contre, il est important que la personne à l’origine de la proposition soit transparente quant à sa motivation, de façon à ce que son/sa partenaire sache sur quoi il/elle marque son accord : accepter de recevoir ou permettre à l’autre de prendre son plaisir ?

Pour qu’il y ait un véritable consentement, il est important qu’il n’y ait pas tromperie (consciente ou non) sur son objet.

Cette ambiguïté se retrouve dans la sexualité où l’homme, souvent à l’initiative, pense de ce fait être dans la position de celui qui donne et a le sentiment de faire un cadeau. Alors que de son côté, la femme se retrouve dans la position de celle qui permet et a donc tout autant le sentiment de faire un cadeau. Au final, il y a un risque d’incompréhension et de frustration de la part des deux partenaires, chacun ayant le sentiment de ne pas être reconnu dans son don.

Pour un consentement enthousiaste

La notion de consentement a évolué au fil du temps.

Au départ, le slogan « non c’est non » définissait les limites du consentement. Puis, il a été remplacé par une exigence d’affirmation positive expresse : « oui c’est oui ».

Par après, il est apparu qu’accepter ne signifiait pas forcément avoir envie (voir le passage sur la dette de sexe). De même, céder à la pression, au chantage, à la force ou à l’usure, ne peut être interprété comme un accord positif. La nouvelle exigence est au consentement, mais au consentement enthousiaste, avec le slogan « oui c’est OUIII !!! ».

C’est un « oui » motivé, un élan joyeux qui n’englobe pas que le mental mais également le cœur et le corps. Il faut donc que les trois pôles soient alignés dans le « oui ».

Du consentement à l’accord mutuel

Une autre approche récente remet même en cause l’emploi du terme « consentement ».

Le consentement se définit comme « l’acceptation qu’une action ait lieu », mais également comme « le fait de se rendre à la volonté d’autrui », ce qui donne un sentiment de résignation ou d’abdication.

Même dans son sens premier, le consentement induit une certaine passivité issue de la tradition patriarcale : l’homme, toujours désirant, est à l’initiative et propose, tandis que la femme, séduisante et passive, se contente de donner (ou non) son accord.

Cette posture attentiste fait toute la différence entre être objet de désir et être sujet de désir. Les tenants de cette approche suggèrent de remplacer la notion de consentement par celle d’accord mutuel (et enthousiaste, tant qu’à faire), qui a l’avantage d’engager deux sujets actifs.

Sortir de cette passivité favorise donc pour les femmes la possibilité d’être plus actrices de leur sexualité, de la prendre en charge et de l’exprimer de façon positive.

Cela implique de changer le regard, tant des femmes que des hommes, sur les femmes qui assument leurs désirs et leur plaisir. Qu’elles puissent définitivement ôter de leurs épaules cette chape de honte et de culpabilité, et être en paix avec cette magnifique énergie vitale qui les traverse.

L’approche tantrique s’avère une bonne façon d’embrasser une notion aussi riche et complexe que le consentement. Avant tout, cela consiste à voir votre partenaire comme un sujet à aborder avec toute votre écoute aimante et bienveillante.

Didier de Buisseret

N’hésitez pas à partager cet article, en le reprenant intégralement, sans modification ni coupure, et en citant sa source (www.presenceasoi.be)


[1] Barense Dias, Akre et al., 2018

[2] Selon une enquête française (Bajos, Ferrand, & Andro, 2008), 73 % des femmes et 59 % des hommes français adhèrent à cette croyance.

[3] Il semblerait même que les femmes aient plus de désir que les hommes… pour peu qu’elles se l’autorisent, selon diverses études compilées par le journaliste Daniel Bergner (Daniel Bergner, « Que veulent les femmes ? », Hugo Dor, 2014)

[4] Victoire Tuaillon, Les couilles sur la table, éd. Binge Audio, 2019, p. 195

[5] www.bettymartin.org

7 commentaires pour “Le consentement

  1. Laurence R.

    Merci beaucoup pour ce nouvel article encore une fois bien écrit et éclairant. Cette analyse subtile me fait voyager à travers mon histoire personnelle qui fut tellement ancrée dans les constructions sociales et les schémas, la peur. La compréhension fine de ce qui est en jeu dans ces moments-là est nécessaire, en construction à vie.

  2. FOURNET

    Bel article, étayé et qui résonne de manière juste sur le plan relationnel et humain. Éclairant aussi sur le plan sociologique pour percevoir la nature empirique et emprisonnante du patriarcat et des interdits toxiques véhiculés par l’inconscient collectif…Ceci offre de belles perspectives pour qu’une relation humaine et sexuelle advienne entre un homme et une femme de manière saine, respectueuse, légère et en conscience des énergies présentes qui circulent au cœur de chaque être humain homme et femme. Merci beaucoup pour cet éclairage !

  3. Laurence R.

    Une notion qui me semble aussi importante à souligner est la difficulté à s’autoriser à changer d’avis en plein milieu, à tout arrêter. Un point à approfondir ?

    1. Didier Auteur du post

      Oui, Laurence, c’est effectivement un point important. Le consentement est une notion trop riche et complexe pour être épuisée en un seul article. Peut-être une autre fois ? 🙂

  4. Delannoy

    Merci pour cet article. J’aime beaucoup la notion d’accord mutuel enthousiaste. Cela implique selon moi un dialogue pour arriver à un accord gagnant gagnant. J’ai très envie d’expérimenter. Et oui je suis sûre que le tantra peut m’aider sur cette voie.

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