Présence à soi

L’acceptation de soi, par la non-dualité (partie 1)

La non-dualité

La non-dualité

Origines de la non-dualité

L’approche non duelle est présente dans la majeure partie des philosophies orientales. On la retrouve dans l’hindouisme (l’advaïta vedanta), le taoïsme, le bouddhisme, le zen, le soufisme, le shivaïsme du Cachemire et le tantra, principalement.

Le concept de non-dualité se retrouve également chez quelques rares philosophes occidentaux, tels Maître Eckhart (1260-1328) ou Baruch Spinoza (1632-1677) proclamant, de façon discrète pour ne pas heurter de front l’Eglise, que Dieu, la Nature et l’Homme ne font qu’un.

Il existe également un courant plus contemporain, nommé néo-advaïta. Il s’agit pour la plupart d’occidentaux ayant été formés à l’advaïta vedanta et ayant intégré cette approche à leur bagage spirituel ou philosophique d’origine. Les figures les plus connues chez nous sont, entre autres, Eckhart Tolle, Jean Klein, Arnaud Desjardins, Jeff Foster ou encore Mooji.

Le postulat de la non-dualité

Selon ce principe de non-dualité, il existe une unité fondamentale entre toutes choses, qui ne sont séparées qu’en apparence. Il n’y a pas de division entre l’individu et le monde qui l’entoure : chaque individu est le reflet du monde et il contient le monde en lui. Le chemin spirituel consiste à soulever ce voile d’apparence afin de faire l’expérience de l’unité.

Dans cette optique où tout est unifié, il n’y a aucune séparation, aucune frontière, aucune limite. C’est notre mental qui crée artificiellement des séparations et des oppositions entre les choses.

Ainsi, des polarités qui nous semblent opposées en apparence (jour/nuit, vide/plein, joie/tristesse…) sont en réalité reliées et complémentaires. C’est l’équilibre dynamique entre ces forces en éternel changement qui maintient l’harmonie de l’univers.

Cette vision implique aussi de laisser de côté la dualité du bien ou du mal, du sacré ou de l’impur. La non-dualité est inclusive, en ce qu’elle reconnaît et intègre absolument tous les aspects de la vie. Rien n’est à rejeter.

En fait, il ne s’agit pas de condamner la dualité – ce qui serait une nouvelle position dualiste – mais de l’intégrer, d’accepter ses paires d’opposés. Il s’agit de voir que le bien et le mal sont les deux faces d’une même pièce et qu’ils sont complémentaires. C’est accepter les deux facettes, sans rejeter l’une ou rechercher l’autre.

La non-dualité est l’accueil de toutes les dimensions de la dualité.

La non-dualité est donc la reconnaissance et l’acceptation de la réalité, de ce qui est. Cela vaut autant pour ce qui se passe à l’extérieur, dans le monde, qu’à l’intérieur de nous-même.

Cet article se focalise uniquement sur la dimension intérieure : l’acceptation de soi et de tout ce qui nous traverse.

La non-dualité radicale

Dans le courant contemporain du néo-Advaïta, il y a une branche plus radicale, considérant que l’individu, le « je », n’existe pas, que c’est une pure illusion.

Il est principalement reproché à cette approche absolutiste de ne prendre en compte que le niveau ultime/spirituel et de faire totalement abstraction du niveau relatif/humain.

Les deux niveaux coexistent pourtant en chacun et il n’est pas possible d’évoluer durablement dans l’un tout en récusant l’autre[1]. Or, dans le niveau relatif, l’individu existe bel et bien.

La critique de cette radicalité porte sur deux points :

« Il n’y a rien à faire »

Les tenants de cette approche considèrent que la notion d’éveil et de chemin spirituel est inutile et sans objet, puisque nous sommes déjà parfaits et qu’il n’y a personne à éveiller.

Au niveau ultime, il n’y a en effet plus de chemin ni de chercheur ni de guide, puisque l’individu n’existe pas. Mais au niveau relatif, il y a cependant bien des individus, une infinité de chercheurs englués dans leurs questionnements humains et cherchant des réponses.

Cette approche où il n’y a rien à faire est très alléchante pour les occidentaux qui veulent tout, tout de suite. Mais c’est un leurre.

Tous les grands maîtres spirituels de l’histoire ont cheminé toute leur vie et ont mis des années à acquérir la maîtrise de leur dimension humaine. Nous ne ferons malheureusement pas exception.

« Il n’y a ici personne qui souffre »

Lorsqu’une personne en souffrance cherche conseil auprès d’un enseignant de la non-dualité radicale, il lui est généralement répondu : « tu es encore trop englué(e) dans ton histoire personnelle. L’individu n’existe pas, il n’y a personne pour souffrir ».

Outre que cette réponse a peu de chance d’aider la personne en souffrance, elle risque d’être vécue comme manquant totalement d’empathie et d’humanité.

Il semblerait que certaines personnes ayant connues l’éveil mais ne bénéficiant pas du rattachement à une tradition spirituelle bien ancrée aient des difficultés à renouer avec leur dimension humaine.

Dans la tradition du Zen, le chemin vers l’éveil se fait en dix étapes (connues sous le nom « images de la quête du bœuf »). Après avoir connu l’illumination, le sage vit un temps uniquement dans la non-dualité et le niveau ultime. Mais son éveil n’est pas encore parachevé. Pour franchir la dixième et dernière étape, il doit encore retourner parmi les humains et intégrer toute la dualité au sein de la non-dualité. L’impersonnel doit donc inclure le personnel, et non le récuser.

Sans cette dernière étape, la spiritualité devient froide et rejette tout ce qui fait notre humanité, notre individualité. Lorsqu’une personne souffre, il ne faut pas lui faire honte de ressentir de la souffrance, mais au contraire aller la rencontrer là où elle se tient, dans toute la fragilité de son humanité.

A cet égard, ce qui, pour moi, fait la richesse et la singularité du néo-Tantra, c’est justement d’être au carrefour du spirituel et de l’humain (le psychique et l’émotionnel) et ce, par le biais du corporel.

Le Tantra est une voie inclusive, dans la mesure où « il intègre le désir et tous les niveaux de l’Être dans le devenir, au lieu de viser la reconnaissance de ce que nous sommes ultimement. Il invite à célébrer la forme du désir quel qu’il soit, que celui-ci pointe vers l’Absolu ou vers le monde conditionné »[2].

Daniel Odier renchérit : « Il n’y a plus pour le tantrikâ de scission entre la vie mystique et la vie phénoménale (…) L’ascèse n’est plus alors envisagée comme un retrait du monde phénoménal qui permettrait d’accéder à une pureté divine mais au contraire comme une immersion intégrale dans ce que la vie a de plus frémissant »[3].

La dualité du New-Age

Si le néo-Advaïta pousse un peu loin les limites de la non-dualité, il peut être reproché au New-Age d’être, au contraire, fortement dans la dualité.

Les injonctions spirituelles

Le New-Age a normalement pour but de faciliter l’acceptation de soi. Pourtant, la pensée foncièrement duelle qu’il véhicule vient singulièrement compliquer les choses[4].

Ce courant est constitué d’un ensemble de concepts et de croyances venant de multiples horizons et mis bout à bout. Ce patchwork est rarement bien digéré car… pas toujours très digeste, ni très homogène.

Cela a pour conséquence que les pratiquants se retrouvent face à des constructions conceptuelles malaisées à intégrer, qui se transforment rapidement en dogmes ou en injonctions.

Ainsi, le chercheur spirituel se voit progressivement assigné un profil unique auquel il est prié de correspondre : il est censé être dénué d’envie ou de colère, bienveillant, végan, empathique, sensible aux énergies subtiles, détaché des contingences matérielles, à l’écoute des autres, doué d’une riche intériorité, pratiquant la méditation…

Ces étiquettes amènent à porter des jugements très moralisateurs sur ce qui est spirituel ou ne l’est pas. Ou si, par exemple, telle pratique peut rentrer ou non dans la définition de ce qu’est le seul Tantra véritâââble dont certains s’arrogent d’autorité le titre de gardiens ou protecteurs. Chacun finit par se créer une idée bien arrêtée et assez rigide de ce qu’être spirituel.

Si la seule conséquence de ces tendances dogmatiques était ces petites querelles d’ego, ce ne serait pas bien grave. Le problème est que cela pousse chaque personne à se construire un moi idéal, hors de portée, et impossible à atteindre.

Des slogans comme « Devenez la meilleure version de vous-même » deviennent à double tranchant car ils sont implicitement interprétés en « tel que vous êtes maintenant, ce n’est pas suffisant ».

Déterminer un comportement comme « spirituel » va inévitablement créer le concept opposé, qui sera son pendant « non-spirituel ». Par exemple, si j’idéalise le concept de non-attachement, je considèrerai que m’attacher à quelqu’un n’est pas digne de l’image que j’ai de moi-même ou du chemin spirituel que je souhaite emprunter.

Le souci est que cette « part qui s’attache » est pourtant présente en moi (comme en quiconque), et qu’en idéalisant ce que je crois être son opposé, je vais être amené à nier l’existence en moi de cette « part qui s’attache », à la refouler ou à la projeter sur d’autres à l’extérieur.

La projection est un mécanisme psychique inconscient de protection. Il me serait trop inconfortable d’admettre l’existence en moi de cette part qui contredit trop l’image de la personne que je voudrais être. En conséquence, je l’évacue.

Plus je nie l’existence de ces parts indésirables, plus je renforce une image idéalisée de moi-même qui ne correspond pas à la réalité. Cette image idéale de soi, c’est ce qu’on appelle le faux-self.

Ce faux-self est une construction fragile, que la confrontation constante à la réalité vient menacer. Nous dépensons une énergie considérable à défendre cette image idéale que nous avons de nous.

Le déni de ce qui est

Lorsque nous sommes traversés par une pensée ou une émotion qui serait une menace pour l’idée que nous nous faisons de nous-même, nous ne l’autorisons pas et réfutons qu’elle pourrait être nôtre.

Le refus d’admettre l’existence en nous de ces parts « non-spirituelles » a pour effet de ne pas nous permettre d’être présents à nos états émotionnels et, par conséquent, de pas pouvoir en prendre soin.

Lorsque les croyances spirituelles restent avant tout des représentations mentales et ne sont pas vraiment intégrées, elles contribuent à nous couper de la réalité, et de ce que l’on vit et ressent.

A travers le contournement spirituel (voir cet article), la spiritualité peut même être instrumentalisée pour légitimer et renforcer cette déconnexion du réel.

Selon moi, la spiritualité se doit d’être amorale, en ce sens que la morale n’entre pas dans son champ de préoccupation. Elle n’est pas là pour décider de ce qui est bien ou mal, de ce qu’il faut faire ou ne pas faire, mais pour nous inviter à accueillir tout ce qui est.

En ce sens, la spiritualité nous libère de l’obligation d’aller mieux ou de progresser sur un quelconque chemin !

(Suite de l’article ICI)

Didier de Buisseret

N’hésitez pas à partager cet article, en le reprenant intégralement, sans modification ni coupure, et en citant sa source (www.presenceasoi.be)


[1] Voir l’article Le contournement spirituel.

[2] Gilles Rosnier, Le désir et l’éveil, L’aventure du néo-tantra, éd. Almora, 2023, p. 160

[3] Daniel Odier, Tantra yoga, le tantra de la connaissance suprême, éd. Espaces libres, 2022, p. 40.

[4] La question du danger de la dualité dans le développement personnel a déjà été effleurée dans plusieurs de mes précédents articles, comme « L’acceptation », « La bataille des deux loups » et « Soyons spirituellement incorrects ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *