La récession sexuelle
Une enquête IFOP réalisée en 2022 a mis en lumière les chiffres suivants : « Au cours des douze derniers mois, 43 % des jeunes interrogés n’avaient pas eu de rapport sexuel, et 44% avec un seul partenaire »[1].
Dans la mesure où ces chiffres restent relativement constants par rapport aux années antérieures, les confinements liés au Covid n’en sont globalement pas la cause.
D’autres études révèlent un déclin significatif de l’activité sexuelle chez les jeunes au cours de la dernière décennie dans le monde entier[2]. Par exemple, plus d’un tiers des jeunes Japonais de moins de 20 ans se disent peu intéressés, voire dégoûtés, par les relations sexuelles[3].
Interpellées par ces chiffres très éloignés de la sexualité débridée que l’on prête aux jeunes, deux journalistes du journal Le Monde ont mené une enquête en France auprès des intéressés, âgés de 15 à 24 ans[4].
Il ressort de leur enquête que cette récession sexuelle des adolescents et jeunes adultes trouve principalement son origine dans deux facteurs majeurs : la pression de la performance et la peur de l’objetisation[5].
D’une certaine façon, c’est une excellente nouvelle. Cela montre que de plus en plus de gens, hommes ou femmes, ne se retrouvent plus dans une certaine approche – jusqu’ici dominante – de la sexualité.
Il est par contre dommage que, faute de connaître une alternative satisfaisante, ils aboutissent à un rejet total de la sexualité, alors que cette alternative existe[6]. En effet, l’approche tantrique de la sexualité permet de rencontrer les écueils pointés dans l’enquête.
La pression de la performance
Assurer au lit
Durant l’acte sexuel, énormément d’hommes ressentent la pression d’exceller en tant qu’amant et de ne pas décevoir les attentes présumées de leur partenaire.
Le plus souvent, l’homme qui ressent cette pression se l’impose tout seul, sans que sa partenaire y contribue. Il a intégré malgré lui diverses croyance et injonctions sociétales selon lesquelles ne pas être un bon amant équivaut à ne pas être viril, et donc à perdre le statut d’homme véritable.
Il y a là un grand enjeu émotionnel. Risquer de « ne pas être à la hauteur », génère donc beaucoup d’angoisse.
Cette angoisse alimente un cercle vicieux car plus l’homme craint de ne pas assurer au lit, plus le stress émotionnel contribuera à le rendre fébrile ou empressé, et à lui faire perdre son érection ou à le faire éjaculer prématurément.
De plus en plus de femmes sont également sensibles à la pression de la performance en s’inquiétant de ne pas jouir assez ou suffisamment vite ou pas selon la norme dominante. Il est probable que c’est la pression ressentie par l’homme de faire jouir la femme qui est à l’origine de la pression vécue par la femme de parvenir à la jouissance… pour que l’homme puisse être rassuré sur ses qualités d’amant.
La tentation de la technique
Certains hommes espèrent éloigner le risque d’être un mauvais amant par la maîtrise de techniques et autres « trucs et ficelles ».
Si un minimum de maîtrise n’est bien sûr pas à dédaigner, trop miser sur la technique n’est pas une bonne solution.
Le danger de la technique est qu’elle ramène dans le souci de performance. La croyance que tel procédé permet d’aboutir à tel résultat amène forcément une nervosité à la perspective de ne pas y arriver, ce qui contribuera à générer le stress que l’on essaie justement d’éviter.
Avoir à se soucier d’une méthode au moment de la rencontre sexuelle complique aussi la rencontre avec l’autre. Comment être véritablement présent à soi et à l’autre tout en étant concentré sur la mise en application d’une technique ramenant inévitablement dans le mental ?
Déconstruire les croyances
Renoncer à la sexualité est une façon de dire non aux diktats d’une société érigeant la performance comme norme dans tous les domaines, y compris dans la sexualité. Une autre façon de ne pas accepter ces injonctions est de déconstruire les croyances qui les fondent.
Une première croyance à questionner est le rapport étroit entre la valeur en tant qu’homme et la capacité à maintenir une érection ou le nombre d’orgasmes que l’on est en mesure de procurer à sa partenaire. Le jour où le concept de virilité sera abandonné, bien des choses seront plus simples pour tout le monde…[7]
Une autre croyance est que l’attente ultime de la femme serait avant tout d’obtenir des orgasmes multiples. Après avoir accompagné des centaines de femmes en séance, j’ai plutôt le sentiment qu’elles sont nombreuses à souhaiter avant tout que leur partenaire soit totalement présent à elles et les aborde avec amour et conscience. Cela n’empêche bien évidemment pas qu’une femme puisse aussi apprécier de recevoir du plaisir d’un amant adroit. L’un n’empêche pas l’autre…
Une dernière fausse croyance est qu’il existerait une norme en matière de sexualité à laquelle il serait bon de correspondre. Toutes les enquêtes montrent au contraire une telle diversité en la matière qu’il appartient à chacun(e) de découvrir ce qui lui convient et l’épanouit, ce qui peut être très éloigné de ce qui plait à sa/son voisin(e)[8].
L’approche tantrique, la non-performance
La meilleure façon de ne pas se laisser gagner par l’angoisse de performance est de lâcher tout objectif, de vivre une sexualité sans projet, sans autre but que de goûter le moment présent.
S’il n’y a aucun sommet à franchir et nulle part où aller, il n’y a plus aucune crainte de rater quoi que ce soit.
Il est alors beaucoup plus facile d’être détendu, pleinement présent et ouvert à la rencontre, au partage, à l’envie de l’instant…
C’est une sexualité laissant plus de place à l’énergie Yin. Plutôt que d’être dans « le faire », d’assurer une prestation, il s’agit de se laisser traverser par ce qui est présent, de « laisser faire l’amour »[9].
Le Tantra ne propose au final qu’une seule technique réellement efficace et accessible : apprendre à se détendre à l’aide d’une respiration ample et profonde. Ce n’est en fait pas vraiment une technique mais un moyen d’accéder à un état où la question du contrôle et de la performance n’a plus lieu d’être.
La peur de l’objetisation
La généralisation des contacts virtuels via les réseaux sociaux ou les applications de rencontres a mis en lumière l’importance du nombre de personnes peu à l’aise avec les rencontres réelles hors écran, avec de vrais corps et de véritables émotions. De plus en plus de gens préfèrent éviter la complexité et l’enjeu inhérent à la rencontre.
Paradoxalement, une des grandes réticences pointées dans l’enquête est pourtant la crainte que l’acte sexuel ne soit pas une véritable rencontre.
L’absence de rencontre
Il y a rencontre lorsque chacun des protagonistes est accueilli(e) et abordé(e) dans son humanité et toute sa globalité.
Par contre, Il n’y a pas de vraie rencontre en profondeur :
- Si la/le partenaire n’est vu(e) que comme un moyen d’assouvir ses envies ou ses fantasmes, d’évacuer des tensions… ;
- Si le rapprochement est avant tout perçu comme une occasion de prestige social ou de se rassurer sur ses talents d’amant(e) ;
- Si à travers nos yeux l’autre est morcelé(e) en autant de parties de chair à consommer ;
- Si, par différentes ruses ou pressions, l’un(e) cherche à amener l’autre là où il/elle n’a pas vraiment envie d’aller ;
- Si on a la tête pleine de fantasmes qui ne nous font plus voir l’autre tel(le) qu’il/elle est réellement ;
- Si chacun(e) est plus là pour prendre que pour donner ;
- Si nous ne sommes pas à l’écoute des envies, des besoins, des limites et du rythme de l’autre ;
- Si nous sommes moins présents à l’autre qu’à notre stress de performer ou à la technique qui devrait nous permettre d’y arriver.
Si cette crainte d’être instrumentalisé(e) au service d’autre chose que la relation est plus présente chez les femmes, certains hommes se sentent eux aussi objetisés. Par exemple lorsqu’ils ont le sentiment d’être utilisés comme sex-toy, tout en appréhendant de ne pas atteindre le même niveau de constance et de performance que ledit engin.
Lassitude du consumérisme
Une autre des raisons qui poussent à rejeter la sexualité est que le consumérisme s’en ait largement emparé. C’est devenu un produit comme un autre, qu’essaient de nous vendre les magazines de mode, avec leur lot d’injonctions pour correspondre à l’amant parfait ou à la femme fatale.
La pornographie a également beaucoup contribué à désenchanter et à désacraliser la sexualité, comme l’écrit le philosophe Jean Baudrillard : « Le succès mondial du porno n’est pas tant le fruit de la libération sexuelle que la victoire du capitalisme qui transforme tout en marchandise : y compris les corps, réduits à leur capacité d’être exposés et consommés »[10].
Nombreuses sont les personnes qui n’acceptent plus d’être réduites à l’état d’objet sexuel consommable et veulent être rencontrées comme sujet.
Peur de la violence
La peur qu’une étreinte ne débouche sur de la violence ou de la contrainte est aussi présente chez de nombreuses femmes[11] et vient stopper leur élan vers la sexualité.
Avec l’influence de la pornographie et de la culture populaire (comme avec le film Cinquante nuances de Grey, par exemple), une forme de violence et de brutalité dans les rapports est devenue tendance chez certains.
Cela peut devenir problématique si la relation se réduit à cela, si cette dynamique est plus subie que choisie par l’un(e) des partenaires et si cela induit des pratiques forcées.
L’approche tantrique, vers la connexion
La vision consumériste de la sexualité ne permet pas ou peu de réelle rencontre ou d’intimité affective entre les partenaires, puisque l’échange se limite à instrumentaliser l’autre au profit de l’assouvissement de son propre besoin/plaisir. Ce plaisir a d’ailleurs du mal à dépasser la dimension strictement génitale et à être plus qu’une simple décharge des tensions.
Le Tantra suggère une sensibilité où le Yang est moins hégémonique, loin du « faire », des techniques et des résultats à atteindre. Il y est finalement très peu question d’apprendre à devenir des amants extraordinaires capables de prodiguer des orgasmes sans fin à ses partenaires.
Les dimensions relationnelle et affective, l’intériorité, la lenteur et la douceur – toutes choses foncièrement Yin – sont privilégiées.
Il n’y a pas vraiment de règles ou d’incontournables dans la sexualité tantrique. La lumière tamisée, les bougies, la musique d’inspiration indienne, les étoffes soyeuses, tout cela est optionnel.
Le plus souvent, c’est lent et doux, mais pas toujours, pas forcément. Le ralentissement n’est qu’une conséquence, car pour être vraiment présent et connecté à soi et à l’autre, il est bon de revenir régulièrement à de la lenteur. Mais pas nécessairement tout le temps.
La seule chose réellement importante est de lâcher tout objectif ou but, de prendre le temps, et de privilégier tout ce qui vient favoriser la connexion.
Conclusions
La rencontre des corps est relativement facile. La rencontre des esprits également. En revanche, la rencontre des cœurs est plus délicate car elle implique une plus grande mise à nu que celle des corps en invitant à entrer dans la véritable intimité.
Si vous vous connectez simultanément sur ces trois niveaux avec votre partenaire, alors une rencontre profonde et nourrissante a vraiment lieu.
La sexualité n’est finalement qu’une façon – mais une des plus belles – de favoriser une telle qualité de rencontre.
Didier de Buisseret
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[1] https://www.datapressepremium.com/rmdiff/2012459/PresentationSondage16.pdf
[2] Changements dans la fréquence des rapports sexuels péniens-vaginaux et le répertoire sexuel de 2009 à 2018: résultats de l’enquête nationale sur la santé et le comportement sexuels | SpringerLink
[3] https://www.rtbf.be/article/japon-les-jeunes-se-detournent-de-plus-en-plus-du-sexe-5563693
[4] https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2022/07/09/le-sexe-et-les-jeunes-en-fait-ca-ne-m-interesse-vraiment-pas-tant-que-ca_6134072_4497916.html
[5] Néologisme consistant à traiter un être vivant comme un objet.
[6] Il ne s’agit bien sûr pas de pousser les adolescents à avoir une sexualité active s’ils n’en ressentent pas l’élan ou ne s’y sentent pas prêts. Il n’est pas non plus question ici de l’asexualité, étant le fait de ne ressentir pas ou peu d’attirance sexuelle pour qui que ce soit, qui est une orientation aussi légitime qu’une autre.
[7] Voir le livre d’Olivia Gazalé, Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes, éd. Pocket, 2019.
[8] Dans son livre Le salon des confidences (éd. Odile Jacobs, 2013), l’autrice Elisa Brune récolte les témoignages d’un grand nombre de femmes au sujet de leur sexualité.
[9] Voir le livre de Stephen Vasey, Laissez faire l’amour, éd. Almasta, 2013.
[10] Jean Baudrillard, cité par Frédéric Lenoir dans son livre, Le désir, une philosophie, éd. Flammarion, 2022, p. 87.
[11] Selon le Rapport annuel évolutif 2022 auprès des Centres de prise en charge des violences sexuelles en Belgique, 90% des victimes sont des femmes.
- Réactionnaire, le Tantra ?
- La spiritualité, une fuite de la réalité ?
pour moi cela vient de la dépendance liée au gsm ou autre
c’est vraiment cela qui cause bcp de problème dans tous les couples
on va aux toilettes avec, salle de bain,de la journée bien entendu et dans la chambre
table de nuit
je sais que quand un couple est entrain de faire l’amour le gsm est tjrs ouvert et on arrete tout contact pour voir qui c’est
on est vraiment dépendant de cette saleté, c’est plus qu’une drogue
c’est du moins mon avis
Appartenant à la génération de tes parents, je n’en souscris pas moins à la pertinence de tes propos, Didier, ainsi qu’aux recommandations qui en découlent. Elles ne sont sans doute pas l’apanage du Tantrisme et relèvent aussi du bon sens et de la « bonne éducation »…
J’ajouterais deux observations aux tiennes:
L’acte sexuel a été banalisé dans les relations, dépourvues aujourd’hui de tout interdit notamment religieux; on se réjouira de la disparation de ces interdits mais pas de l’apparition du désenchantement autour d’une manifestation d’amour qui culminait dans la relation conjugale.
Il y a une méconnaissance flagrante de la façon dont l’autre fonctionne, non pas la « technique » ou la physiologie dont on nous abreuve partout, mais le non synchronisme entre homme et femme dans le cycle de réponse sexuelle, notamment sur l’orgasme conçu par l’homme comme un paroxysme de la relation. Déjà dans les années cinquante, le modèle en quatre phases de Master et Johnson mettait en évidence ce phénomène. Qui sait ? voilà peut-être un sujet à aborder dans « evras » ?
Bien cordialement.
Merci de tes observations, Etienne