Cessez d’être gentils
Les médias relevaient récemment une augmentation des appels vers les centres spécialisés par des personnes, majoritairement des adolescentes, victimes de violences psychologiques de la part de leur petit ami.
Il ne s’agit pas de violence physique mais de pressions psychologiques plus ou moins larvées, de petits ou gros chantages affectifs, dont l’enjeu – souvent implicite – est le maintien de la relation amoureuse. Ce qui est interpellant c’est que si certaines de ces adolescentes ont confusément eu le sentiment que quelque chose n’allait pas, elles n’ont pour la plupart pas eu le sentiment d’être victimes de violence, l’objet de leur appel était surtout d’obtenir des conseils pour préserver leur relation.
Tellement de gens ont intégré l’idée que les rapports de force, le contrôle et la domination sont inhérents à la relation de couple que la violence psychologique est banalisée ou minimisée et, de ce fait, est devenue acceptable.
Même chez les adultes, nombreuses sont les personnes prêtes à accepter beaucoup pour préserver leur relation amoureuse. Et, dans une certaine mesure, c’est normal. Le tout est de sentir quand on glisse imperceptiblement des concessions légitimes au renoncement ou à la négation de soi.
Par manque de repères et de connaissance de soi, beaucoup sont victimes de confusion entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est plus. Voici deux exemples rencontrés récemment dans mon entourage : l’une est contrainte à renoncer à ses sorties entre copines parce que son nouvel amoureux les voit d’un mauvais œil. L’autre consent à des relations sexuelles ou à des pratiques dont elle n’a pas envie.
L’amour donne de la liberté
Restreindre la liberté de sa/son partenaire par jalousie ne devrait pas être considéré comme normal, et encore moins comme une marque d’amour. Comme je l’ai déjà écrit ici, la jalousie n’a rien à voir avec l’amour, elle est uniquement une manifestation de possessivité, d’ego ou de peur d’être abandonné. Aimer quelqu’un, c’est le vouloir libre, et non contraint. « C’est le seul critère de l’amour : il donne la liberté, et il donne inconditionnellement » (Osho).
C’est à la personne jalouse d’effectuer un travail sur elle-même, non à son/sa partenaire à renoncer à ce qui l’épanouit. Le couple devrait avoir pour raison d’être de s’encourager mutuellement à réaliser son plein potentiel, non à se rogner les ailes l’un l’autre (voir cet article sur le couple).
C’est une question de responsabilisation : si je souffre de jalousie, c’est à moi de faire ce qu’il faut pour accueillir cette jalousie, plutôt que d’en reporter les conséquences sur ma partenaire en la contraignant à changer sa façon d’être pour ne pas éveiller ma jalousie.
L’amour est une rencontre
De nombreuses femmes consentent à des rapports ou à des pratiques sexuelles qu’elles ne désirent pas, que ce soit pour éviter une fâcherie, de guerre lasse après de multiples sollicitations, pour sauver leur couple… Une relation sexuelle devrait être une rencontre entre ce qu’il y a de plus sacré, de plus profondément intime, entre les deux partenaires. Quel en est le sens si un des deux s’y sent forcé ?
Si je sollicite un rapport sexuel avant tout pour décharger mon stress ou apaiser mes pulsions, est-ce à ma partenaire d’assumer ce rôle de défouloir, d’accepter d’être instrumentalisée en ce sens (voir cet article-ci et celui-ci) ? Ou est-ce à moi à faire en sorte de retrouver préalablement une forme d’harmonie, de façon à arriver à la relation avec ce que j’ai de plus beau à offrir à ma partenaire ?
La distinction entre « vouloir faire plaisir à l’autre » et « se forcer » peut être subtile. Un critère pourrait être : « en ai-je fondamentalement envie ? » et « est-ce que je me respecte en consentant à cela ? ».
S’aimer soi-même
Le premier pas est d’arriver à sentir ce qui est bon et juste pour soi, et, à l’inverse, de prendre conscience de ce qui ne nous correspond pas et ne nous fait pas du bien. C’est déjà tout un chemin. Pourtant, malgré cela, de nombreuses personnes arrivent encore à la conclusion qu’elles n’ont pas su poser leurs limites et les faire respecter. Comment ce fait-il ?
Cela se résume généralement à la même chose : l’amour de soi et la conscience d’être digne d’amour. C’est avoir l’intime conviction que ce n’est pas parce que je dis non, que je ne souhaite pas rencontrer toutes les attentes de l’autre, qu’il/elle va cesser de m’aimer.
« Cesser d’être gentil, soyez vrai », titrait un excellent ouvrage de Thomas d’Ansembourg, vous en serez que plus aimé(e).
Didier de Buisseret
N’hésitez pas à partager cet article, en le reprenant intégralement, sans modification ni coupure, et en citant sa source (www.presenceasoi.be)
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Hello Didier,
J’adhère complètement sur le fond de ton écrit. La tendance du moment est à forcer ou à contraindre une certaine manière de faire ou de penser, alors que chacun devrait rester libre de corps et d’esprit, peu importe la relation.
Je me pose cependant régulièrement une question sur la manière d’exprimer et de « gérer » le sujet lorsqu’il y a divergence, qu’elle soit d’une valeur personnelle, d’une limite, d’une conviction religieuse ou norme sociale…
Ce qui est valable pour soi-même est également valable pour autrui : si on prend pour exemple une situation où l’un s’estime libre de sortir/découcher/peu importe, et que pour l’autre cela dépasse son point de vue dans cette relation, cela risque de coincer à un moment… Si X reste dans ses libertés et Y dans ses limites, que faire ? Il y en a forcément un qui va devoir déplacer ses limites, ou accepter qu’elle soit dépassée, ou .. quoi ?
Je m’interroge également sur le sujet des limites et du dialogue, car dire « tu fais ce que tu veux, pour du vrai, mais moi ce que tu vas faire là ne m’enchante pas/me dérange/me touche » pourrait engendrer une double contrainte alors que la personne cherche peut-être à « juste » exprimer ses sentiments ou limites, ce qui me semble sain au départ ?
Je serais très intéressé d’avoir ton point de vue 🙂
Bonjour Vincent,
En cas d’opposition entre son souhait et celui de sa partenaire, la première chose est que chacun s’intériorise afin de vérifier quel est le besoin à combler derrière son souhait et s’il n’est pas possible de combler ce besoin autrement. Et puis, une fois les besoins de base de chacun clairement identifiés, communiquer au sein du couple pour essayer de déterminer le meilleur compromis possible impliquant les concessions les moins douloureuses possibles pour les deux. C’est de la CNV.
Cela ne fonctionne qu’à condition que les deux soient honnêtes tant envers eux-mêmes qu’envers l’autre. Si un des deux dit : « fais ce que tu veux mais j’en souffrirai horriblement », c’est juste de la manipulation et du chantage affectif. En revanche, c’est OK si tu dis : « cela m’insécurise mais comme je sens que c’est important pour toi, vas-y ». Chacun prend ses responsabilités, sans culpabiliser l’autre : l’un apprend à gérer son insécurité sans empêcher l’autre de faire ce qui l’épanouit, tandis que l’autre, dans la gratitude et conscient de l’effort que cela demande à sa/son partenaire, sera extrêmement attentif à la/le rassurer et sécuriser au maximum.
Et si vous arrivez malgré tout à la conclusion que vos besoins de base sont incompatibles et qu’il n’y a réellement pas de compromis possible (ce qui n’est pas si fréquent), cela signifie qu’un des deux ou les deux doivent faire des concessions importantes. C’est là qu’intervient la subtile question de savoir si cette concession est acceptable ou si elle implique un renoncement majeur qui irait à l’encontre du respect que tu te dois ; auquel cas la poursuite de la relation mérite d’être remise en question.
Je te rejoins dans les grandes lignes 🙂 Il me semble cependant que dans la vie courante cela demande certaines qualités humaines qui ne sont pas spontanées chez tout le monde (et cela rejoint un peu le début de ton article).
La nuance que tu fais entre « expression de son sentiment » et « expression de son besoin » est intéressante, aussi 🙂
Merci pour ton point de vue éclairé 🙂
Oui, ce n’est pas pour rien que c’est toute une aventure que de faire évoluer son couple dans la durée. Cela demande d’avoir quelque peu progresser sur son chemin individuel (ce qui nous est accessible à toutes et tous). D’un autre côté, la vie à deux, par le miroir qu’elle nous tend, offre justement la possibilité de progresser plus vite sur ce chemin (cfr l’autre article sur le couple et la spiritualité). Une sorte de cercle vertueux, en somme. Pour peu de le prendre dans le bon sens 🙂