Présence à soi

L’aftercare

Quoi de plus spirituel qu’être pleinement dans le moment présent ? La sexualité consciente nous invite à ces moments où nous sommes totalement là avec notre partenaire, où à cet instant précis il/elle est la seule autre personne existant au monde.

Puis, une fois ce délicieux moment de fusion terminé, votre partenaire passe à autre chose, et s’en va sans plus trop donner de nouvelles, vous laissant vide et triste. Cela vous est-il déjà arrivé ? C’est normal, c’est assez fréquent, et pas uniquement dans le monde des applications de rencontres.

On entend souvent qu’il faut « cueillir l’instant », que « ce qui se vit dans le moment appartient à ce moment » et qu’une fois hors de cet espace-temps, il est bon de défusionner et de couper les liens d’attachement, d’autant plus si le moment a été intense.

Ces préceptes, aussi pertinents soient-ils, peuvent pourtant être source de confusion et nous amener à manquer de délicatesse envers notre partenaire.

Le besoin de lien

A ma connaissance, ce sont le plus souvent des femmes qui se retrouvent seules et désemparées, avec un grand sentiment de vide, ne comprenant pas comment elles sont passées sans transition d’un moment si parfait de complétude à… plus rien[1].

J’en attribue la cause au fait que, culturellement, la polarité Yin a plus été valorisée et développée chez les femmes, avec pour conséquence qu’elles accordent généralement une grande importance au lien, à l’ouverture à l’autre, au fait de s’abandonner émotionnellement et affectivement dans l’échange.

Inversement, de nombreux hommes sont moins sensibilisés à cette dimension Yin et n’éprouvent qu’un faible besoin d’attachement[2]. Sans pour autant être forcément dans le consumérisme ou l’individualisme relationnel, ils ont du mal à appréhender ce que ressent leur partenaire féminine lors d’une rupture brusque du lien.

Les hommes voient trop souvent cette demande de maintien du lien comme la marque d’une dépendance affective, d’un attachement insécure[3]. Cela peut bien sûr être parfois le cas. Mais, le plus souvent, cela tient au fait que, lors d’un échange intime, la femme s’abandonne plus complètement, s’ouvre et s’offre totalement, tant sur le plan du cœur que du corps.

Le fait d’accueillir en elle son partenaire, d’avoir été remplie sur tous les plans, fait qu’un retrait trop rapide de l’homme peut laisser un grand vide intérieur et être vécu comme une béance douloureuse. Le contraste est vécu comme violent et laisse un grand sentiment d’abandon et de manque de considération.

Une amie sexologue, Marie-Hélène Dierick, parle du besoin pour une femme d’être « refermée » après avoir été « ouverte », et insiste sur la notion d’aftercare.

La notion d’aftercare

Il s’agit d’un concept issu du milieu BDSM où les séances peuvent amener les partenaires à vivre des moments de forte intensité physique et émotionnelle, et à expérimenter des états de grande vulnérabilité.

L’aftercare est le moment consacré à l’après de la rencontre, pour s’assurer que tout le monde va bien et redescend en douceur. C’est donc le fait de prendre soin de l’autre après la rencontre sexuelle.

Les sexologues ont repris cette idée à leur compte. Si l’aftercare est particulièrement nécessaire après des ébats très intenses, il s’avère également pertinent après tout type de rapport intime.

S’il existe beaucoup de littérature sur l’acte sexuel en lui-même, ce qui se passe juste après est le plus souvent négligé et passé sous silence.

Pourtant, il semble que de nombreuses personnes ressentent de la tristesse et un vide intérieur après avoir fait l’amour, lorsque le pic d’endorphines retombe brusquement.

Bienfaits de l’aftercare

Ce moment post-sexualité présente de nombreuses vertus :

  • Après un pic d’intensité physique et émotionnelle, il permet de redescendre progressivement, de s’apaiser et de « revenir à la normale ».
  • Cela permet de s’assurer que son/sa partenaire va bien, qu’il/elle a bien vécu le moment et que ses besoins et désirs ont été rencontrés. C’est toute la notion de « care », où chacun reçoit l’attention dont il/elle a besoin.
  • C’est l’occasion de discuter de ce qui a été apprécié ou non durant l’acte sexuel, d’échanger sur ce qui nous a plu ou non.
  • Ce moment de communication et de tendresse favorise la connexion, la sécurité et la confiance mutuelle entre partenaires.
  • Cette parenthèse prolonge le bien-être de la rencontre et amène vers une clôture toute en douceur.

Concrètement

L’aftercare est un sas d’intimité, de communication et de tendresse qui peut prendre de multiples formes : papoter sur l’oreiller, se prendre dans les bras ou faire des câlins, se dire des mots d’amour, prendre une douche commune, partager une collation, rester allongés côte à côte, se dire des compliments ou des mots réconfortants, faire part de sa gratitude ou son affection, partager des gestes ou des mots tendres…

Ce n’est donc pas seulement une réunion de « debriefing« , c’est surtout et avant tout l’occasion de prendre soin l’un de l’autre.

L’aftercare n’est pas réservé aux couples établis et se justifie tout autant avec les partenaires occasionnels, voire d’un seul soir, vis-à-vis desquels le soin pourra prendre la forme d’un message envoyé le lendemain pour prendre des nouvelles.

L’aftercare appliqué à la sexualité consciente

L’aftercare n’est pas une invention nouvelle. Ce n’est finalement rien d’autre qu’être présent à l’autre et attentif à son bien-être un temps un peu plus long que simplement celui du moment partagé.

Les personnes fort centrées sur leur quête d’autonomie affective ont à prendre conscience que d’autres pourraient avoir besoin d’un temps plus long pour défusionner. Pas forcément par carence affective, mais parce qu’elles se sont investies plus complètement dans la rencontre et qu’alors que le partenaire s’est retiré depuis longtemps, elles se sentent encore pleine de sa présence.

Partir sans un mot, s’afficher ostensiblement juste après avec un(e) autre partenaire ou disparaître comme un fantôme, ne sont en rien les marques d’un splendide détachement. C’est juste indélicat, au minimum.

Ce soin apporté à l’autre dans la sexualité consciente mérite aussi de s’appliquer lors d’un exercice tantrique en stage où, s’il n’est pas question de sexualité, l’intensité peut tout aussi être présente.

La rencontre ne sera riche et transformatrice qu’à la condition que les partenaires puissent s’ouvrir à leur vulnérabilité dans un cadre sécure et bienveillant. Cela nous invite à faire preuve de délicatesse et d’attention les un(e)s à l’égard des autres.

Didier de Buisseret

N’hésitez pas à partager cet article, en le reprenant intégralement, sans modification ni coupure, et en citant sa source (www.presenceasoi.be)


[1] J’assume le caractère hétéronormé de ce texte car c’est de là que je viens et ce que je connais suffisamment pour me sentir légitime d’en parler. Ce texte n’est donc représentatif que d’une partie de la population et tout le monde ne s’y retrouvera peut être pas.

[2] Il va de soi qu’il existe plein de contre-exemples d’hommes sensibles et avec un bel équilibre des polarités.

[3] Voir cet autre article qui analyse les liens d’interdépendance : https://presenceasoi.be/vers-autonomie-affective

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