Polyamour, quelques balises
Postérieurement à la parution de mon article intitulé « Spiritualité & polyamour » (ici), j’ai reçu plusieurs demandes de conseils pratiques pour arriver à concilier les amours plurielles avec le maintien d’un couple sur le long terme.
Ce qui m’intéresse ici n’est pas tant d’aborder les aspects pratiques que de voir comment intégrer ces questions dans une démarche globale d’évolution tant au niveau individuel que du couple. Il va de soi que cet article est loin de faire le tour du sujet.
Pour ceux que ce thème n’inspirerait pas, je constate que les points abordés sont, en fait, pertinents pour n’importe quel modèle de relation amoureuse.
En discuter avant de commencer
Lorsque deux personnes sont déjà en relation et envisagent d’ouvrir leur couple, il est bon qu’ils prennent le temps de communiquer et de réfléchir ensemble à ce que qu’ils souhaitent avant de se lancer. Cette discussion sera en effet généralement plus sereine lorsqu’il n’y a pas encore d’autres relations entamées. Une fois une tierce personne présente, les discussions pourraient être plus émotionnelles, a fortiori si elles ont pour objet de « régulariser » un état de fait déjà établi…
C’est aussi une belle occasion de faire le point, ensemble et individuellement, de ce à quoi chacun tient, ce qu’il veut voir évoluer ou disparaître dans la relation, ce qui lui fait peur, quelles sont les motivations respectives (qui peuvent coïncider, ou pas).
Le couple est un des rares engagements dont le contenu n’est à peu près pas évoqué lors de sa souscription. Dans un contrat de bail ou d’achat d’une maison, il y a une myriade de clauses détaillant l’accord. Lors du démarrage d’un couple (marié ou non), presque tout est implicite et censé aller de soi. Pourtant, c’est loin d’être le cas. Chacun a sa propre idée – floue – du couple dont il rêve et de son mode de fonctionnement, de ce qu’il attend de son partenaire et de ce qu’il croit que son partenaire attend de lui.
De même, il est rare que cette idée reste immuable et qu’elle n’évolue pas au fil des années et des expériences. Après vingt années de vie commune, qui pourrait affirmer que sa vision du couple est restée telle qu’au premier jour, que les points d’équilibre de la relation ne se sont pas déplacés au gré des évolutions personnelles, de l’arrivée d’enfants ou des changements professionnels ?
Il est donc bénéfique de temps à autre que les deux membres du couple fassent le point de ce qu’ils attendent de la relation et de ce qu’elle leur apporte. A fortiori si cette discussion n’a jamais eu lieu…
Un double projet
Afin que l’ouverture aux amours plurielles ne se fasse pas au détriment de la relation entre partenaires, il est souhaitable d’en faire à la fois une démarche individuelle ET un projet de couple.
Si un des deux l’impose à l’autre, que ce soit par ultimatum, manipulation, pression ou chantage affectif, il ne faut pas être grand clerc pour anticiper que le lien relationnel s’en trouvera affecté. Inclure son partenaire dans ce genre de choix, cela ne signifie pas simplement l’en informer, c’est veiller à ce qu’il puisse s’y retrouver et que cela soit une démarche positive pour les deux.
Un refus du partenaire au souhait d’ouvrir le couple exige une écoute très fine de ses besoins et beaucoup d’authenticité afin d’y apporter la réponse juste. Ce souhait d’autres relations est-il un besoin profond qui, s’il n’est pas nourri, ne permettra pas de se réaliser pleinement et équivaut à nier une part importante de soi ? Ou s’agit-il juste d’une envie certes tenace, voire d’une simple pulsion ou d’un caprice qui, s’il n’est pas exaucé ne devrait générer qu’un peu (ou beaucoup) de frustration ? Et par son refus, le partenaire exerce-t-il un veto qui nous apparaît abusif ou est-il lui aussi dans le respect de ce qui est juste pour lui ?
Lorsque l’on s’inscrit dans un chemin de réalisation de soi, tout ce qui semble y faire obstacle a tendance à être considéré comme intolérable. Si ce chemin nous paraît passer par un couple ouvert, le refus du conjoint (qu’il soit légitime ou non) pourrait alors faire percevoir le couple comme une prison étouffante.
Pourtant, la liberté totale est un leurre et c’est une chimère de penser qu’elle est la seule voie menant à l’épanouissement individuel. Cet épanouissement ne passe-t-il pas plutôt par l’acceptation de certaines contraintes librement choisies, auxquelles on consent d’autant plus volontiers que l’on sait qu’elles sont au service du projet de vie auquel on a adhéré ?
Parce que je la trouve très juste, je reviens à cette idée de « structurer sa liberté » (voir le précédent article ici), comme un artiste qui sublime d’autant plus sa créativité lorsqu’elle s’exerce dans un cadre délimité. Si le couple peut être un incroyable accélérateur de développement personnel, c’est aussi parce que les contraintes qu’il implique nous font travailler sur la durée et en profondeur, et donc évoluer.
Sur le plan spirituel, il est donc souvent plus juste et plus enrichissant d’apprendre à composer avec ce que l’on ressent comme un obstacle plutôt que de chercher directement à l’enlever ou à le contourner. Au lieu d’imposer ses vues, la recherche du consensus apparaît la voie la plus durable et la plus susceptible de faire grandir les deux partenaires. En prenant le temps d’entendre et de rassurer les peurs de l’autre, en l’aidant à prendre soin de ses blessures, il est souvent possible d’assouplir des positions qui semblaient figées. En veillant toutefois à ce que notre souhait de voir notre point de vue compris ne dévie pas en une envie de persuasion ou de manipulation… « Plutôt que persuader, je préfère donner à réfléchir » dit Thomas d’Ansembourg.
Parfois, le consensus paraît hors d’atteinte. Quand la vérité d’un partenaire ne semble pas pouvoir se concilier avec celle de l’autre, cela vaut souvent la peine d’aller voir ce qu’il y a derrière les besoins de chacun pour s’assurer qu’il n’est pas possible de les rencontrer d’une autre façon qui les rendrait alors compatibles.
Et, enfin, s’il apparaît qu’en dépit de tous les efforts un besoin essentiel à l’évolution d’un des partenaires ne peut être nourri sans porter atteinte à un besoin essentiel de l’autre, sans doute faut-il se demander si le couple est encore en mesure de remplir sa fonction première, à savoir encourager l’épanouissement et le développement de ses membres.
La réciprocité
Pour qu’elle soit juste, cette ouverture doit être admise pour les deux partenaires, qu’il y ait une vraie réciprocité. Ou du moins que la potentialité existe car si l’on n’en sent pas vraiment l’envie, mieux vaut ne pas démarrer une nouvelle relation juste pour faire comme son conjoint, par seul goût de la symétrie ou d’envie revancharde…
Il se peut aussi que cette égalité ne soit que théorique, si pour un des deux la possibilité de rencontrer d’autres partenaires s’avère plus difficile, de par son âge ou ses faibles disponibilités.
Il est donc important que cette égalité ne soit pas uniquement conceptuelle et que, dans les faits, les deux partenaires puissent s’y retrouver.
Placer des balises
Avec les amours plurielles, c’est un univers nouveau et inconnu qui s’ouvre, dont les paramètres sont difficiles à appréhender à l’avance. Il peut donc être judicieux de se fixer quelques balises. Il ne s’agit pas de règles contraignantes – s’il y a bien un domaine qu’il est vain de vouloir contractualiser, ce sont les relations amoureuses. Ces balises sont plutôt comme le phare du port, qui aide les bateaux à conserver un certain cap pour ne pas dériver trop loin de la destination qu’ils s’étaient fixées.
Si certaines balises seront intangibles, d’autres peuvent être plus ponctuelles et sont avant tout là pour rassurer, de façon à faire ses premiers pas dans un cadre clair et paramétré. Dans un second temps, il sera toujours possible de déplacer ou de supprimer ces balises s’il s’avère qu’elles ne se justifient pas ou ne sont plus adaptées. A chacun de voir sur quels points il a besoin d’être sécurisé ou quels sont les aspects qui lui paraissent nécessiter plus de vigilance.
Mieux vaut prendre conscience de ses propres limites et de celles de l’autre lors d’une discussion préalable et de poser des balises préventives en ce sens, que de ne rien paramétrer et de découvrir l’existence de ces limites au moment où elles sont franchies et que la crise éclate lors du réveil des vieilles blessures.
Modérer le besoin de contrôle
S’il peut s’avérer judicieux de quelque peu encadrer l’expérience de façon à ce qu’elle ne parte pas dans tous les sens, il est également bon d’arriver à lâcher-prise quant à la volonté de garder totalement la situation sous contrôle. Le sentiment de maitrise est déjà fort illusoire dans une relation monogame, il l’est d’autant plus dans des relations plurielles où le nombre de paramètres augmente de façon exponentielle.
Il n’est pas simple ni forcément souhaitable de vouloir règlementer de façon stricte la place que devra prendre une autre relation, comment et jusqu’à quelle profondeur elle pourra évoluer, de même que le degré d’implication que les protagonistes seront autorisés à y mettre. Ainsi, n’est-il pas irréaliste de s’engager à n’être amoureux que jusqu’à un certain point quand on sait combien les sentiments ne se commandent pas ?
La tentation peut aussi être grande de s’immiscer dans les autres relations de son partenaire pour tenter de garder sous contrôle ce qui s’y passe. C’est rarement une bonne idée et risque d’avoir pour seul effet de mettre en danger toutes les relations à la fois.
Le juste milieu est délicat à trouver entre se laisser balloter par les évènements en les laissant décider pour nous et vouloir tout régenter à force de volonté. Peut-être le plus réaliste serait de s’engager à faire de son mieux pour prendre soin de la relation existante, en restant vigilant à son évolution, en continuant à y investir en temps, en énergie et en enthousiasme, en communiquant rapidement quand quelque chose ne va pas… et puis de lâcher-prise quant à la tournure que les choses prendront.
En règle générale, ce type de relation n’est quand même pas trop à conseiller à qui a un fort besoin de sécurité affective, sauf à vouloir travailler très intensément la question…
Créer un contexte rassurant
L’ouverture du couple fait bouger tous les équilibres de la relation et est susceptible de raviver les vieilles blessures d’abandon, d’estime de soi, de trahison… L’expérience est suffisamment bousculante en soi pour ne pas en rajouter inutilement. Il incombe donc à toutes les personnes impliquées de faire particulièrement preuve de bienveillance, d’empathie et d’attention les unes à l’égard des autres.
Avec la liberté vient une forme de responsabilité qui implique de se forger une éthique individuelle veillant à préserver au mieux l’estime, la sécurité affective et la confiance intérieure de ses proches, en leur faisant sentir combien chacun est important et unique.
Plus la personne en face de moi a une estime d’elle-même encore fragile, plus j’ai à faire preuve de délicatesse dans mes actes et mes propos. Je crois avoir déjà mentionné dans un autre article cet excellent filtre qui permet une parole responsable : lorsque j’hésite à dire (ou à taire) une information, je me pose cette triple question : 1. Est-elle vraie ? (pas de mensonge) – 2. Est-elle utile ? (cela apporte quelque chose de constructif) – 3. Est-elle bienveillante ? (pas d’intention de blesser, de se venger ou de provoquer). Si une de ces trois conditions n’est pas remplie, mieux vaut se taire.
La troisième condition, celle de la bienveillance, est plus subtile. Ce n’est pas parce qu’une information ne fait pas plaisir ou est inconfortable à recevoir qu’elle est nécessairement malveillante. Si cette information pousse à grandir par son côté confrontant ou si la taire saperait les fondations du couple que sont la confiance et l’honnêteté, alors il est bon de la dire. Cela demande une réelle honnêteté, avant tout à l’égard de soi-même.
Je ne crois pas à l’argument « je me tais pour préserver l’autre » qui signifie le plus souvent « je me tais pour ne pas perdre un avantage et préserver ma tranquillité ». Il me semble sain de voir son partenaire comme quelqu’un de mâture et susceptible de pouvoir entendre une vérité dite avec bienveillance. Surprotéger quelqu’un n’a de toute façon jamais aidé à le faire grandir et devenir autonome.
Conforter la confiance
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la notion de fidélité est ici centrale. La fidélité dans le sens du respect avec loyauté des engagements pris entre partenaires, ce qui est la seule façon de créer et d’approfondir un lien de confiance durable. Tout autant – si pas plus – que dans une relation classique, le couple ouvert se base sur la confiance. Pas une confiance décrétée mais une confiance construite, confortée patiemment et méritée.
Plus je prends soin de ce lien de confiance, moins mon partenaire ressentira le besoin de contrôler ou d’être rassuré. Cela commence en évitant les propos ou les situations ambigües susceptibles d’être mal interprétés ou de donner trop de grain à moudre à l’imagination galopante des projections. Être fidèle aux engagements ne suffit pas toujours, il faut donc aussi veiller aux apparences de cette fidélité.
De loin la meilleure façon de déminer les difficultés est de communiquer régulièrement avec son partenaire. Si je ressens des appréhensions, une frustration, une jalousie, si je me sens délaissé, incompris ou insuffisamment respecté ou pris en compte, j’en parle à mon partenaire. Si j’ai un doute, je lui en fais part, plutôt que de me laisser entraîner dans de folles et stériles suppositions (esprit du troisième Accord toltèque, es-tu là ?).
Et plus j’arriverai à communiquer de façon claire, explicite et non conflictuelle, plus je devrais recevoir une réponse sur le même mode…
En conclusion, ce projet d’ouverture du couple, s’il est juste pour les deux partenaires, peut s’avérer une belle occasion de repenser la relation, d’approfondir le lien et de grandir individuellement dans un soutien mutuel et bienveillant.
Didier de Buisseret
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- Entre deux stages de Tantra
Merci pour cet article bienveillant et rassurant. Le point de croissance personnel m’avait échappé, pourtant, dans la réalité, il est en effet bien présent.
Oui, Tessy, il est même central…
Très bel article très profond, très juste. Merci Didier.