Les aléas du contre-transfert, réaction inconsciente
Le précédent article à propos du transfert (voir ici) appelle immanquablement dans son sillage son concept-frère, le contre-transfert.
Définition du contre-transfert
Pour faire simple, le contre-transfert est la réaction inconsciente du thérapeute (ou accompagnant, guide spirituel…) face au transfert de son patient (ou élève, disciple…) à son égard. Dans une sorte de jeu de miroirs, on pourrait dire qu’il s’agit du transfert du thérapeute en réponse au transfert du patient.
Le terme de contre-transfert est repris pour la première fois sous la plume de Sigmund Freud en 1910, dans une lettre à son jeune disciple Carl Gustav Jung lui ayant avoué sa relation amoureuse avec une de ses patientes. Dans un premier temps, Freud ne manque pas d’indulgence face à ce qu’il voit tout d’abord comme une faiblesse compréhensible face au « comportement séducteur féminin » qu’il estime seul responsable du dérapage. Par la suite, au vu du nombre croissant de dérives amoureuses et sexuelles au sein de ses disciples, Freud perçoit le danger pour la réputation de la corporation et exhorte ses confrères à « dominer » leur contre-transfert.
Il faudra cependant encore attendre une quarantaine d’années pour que le contre-transfert ne soit pas simplement vu comme une tentation érotique ou amoureuse et qu’il acquiert une dimension plus large pour être considéré comme la réponse de l’inconscient du thérapeute à l’inconscient du patient, eût égard à tout le parcours affectif et émotionnel des deux protagonistes. C’est donc une notion plus complexe que la « simple » mauvaise gestion du transfert du patient due à l’incompétence ou à la naïveté de son thérapeute.
Le psychanalyste se doit dès lors d’être attentif à repérer son propre transfert, de façon à ce qu’il interfère le moins possible avec celui du patient. Le risque est en effet réel que le transfert du psychanalyste lui fasse voir la problématique de son patient à travers une grille de lecture biaisée, correspondant à sa propre psyché, et l’amenant à tirer des conclusions erronées.
Utilité du contre-transfert
Pendant longtemps, le contre-transfert a été perçu comme un nouvel obstacle au processus thérapeutique, les émotions du thérapeute ne pouvant que perturber ses facultés d’analyse et le pousser à commettre des erreurs, voire des fautes.
Si le caractère inéluctable du contre-transfert est progressivement admis, il faudra attendre 1949 et la psychiatre Paula Heimann (1899-1982) pour que le contre-transfert ne soit pas uniquement perçu comme un obstacle à éliminer : « Ma thèse est que la réponse émotionnelle de l’analyste à son patient dans la situation analytique constitue l’un des outils les plus importants pour son travail. Le contre-transfert de l’analyste est un instrument d’investigation de l’inconscient du patient ».
Autrement dit, en analysant son propre contre-transfert, le thérapeute met à jour ce que l’attitude du patient suscite chez lui et, par extrapolation, ce que le patient génère comme réaction chez les autres. Une bonne interprétation de son contre-transfert permet donc au thérapeute d’informer son patient de ce qu’il renvoie aux autres, et donc aussi de ce qu’il émet vers l’extérieur. Cela apporte au patient une plus grande conscience de son fonctionnement intérieur.
Par ailleurs, le contre-transfert offre aussi une utilité personnelle pour le thérapeute car il l’oblige à mieux se connaître et à travailler sur lui-même en débusquant ses propres schémas émotionnels et ses projections récurrentes : « Cette patiente me rappelle ma mère et je réagis comme je le faisais toujours avec elle », « Je vis mal le rejet de cette patiente car il me renvoie à mes désillusions amoureuses » ou « Je suis content d’arriver à guérir tel patient alors que je n’ai pas su sauver mon père »…
L’interprétation et la gestion du contre-transfert s’avèrent un art délicat pour le thérapeute puisqu’elles supposent qu’il soit à même de distinguer ce qui, dans sa réaction, appartient à son patient (ce que le patient émet) et ce qui lui appartient à lui (ce qui est dû à sa propre grille de lecture émotionnelle).
Compte tenu de la complexité de cet exercice, il arrive parfois que le thérapeute apprécie mal la portée du transfert et la réponse adéquate à y apporter.
Les aléas du contre-transfert
Le thérapeute est censé être conscient que lorsqu’il y a transfert du patient sur sa personne, c’est le professionnel qui est visé et non lui en tant qu’individu. Que, d’une certaine façon, le patient « se trompe de cible ».
Dans certains cas, le thérapeute va pourtant prendre et interpréter les sentiments du patient comme s’ils lui étaient réellement destinés personnellement et, parfois, y répondre favorablement. Cela ne se traduit pas forcément par une relation amoureuse ou sexuelle. Ainsi, face à un patient qui le rejette, un thérapeute pourrait se sentir blessé et avoir du ressentiment à l’égard de ce patient qui, pourtant, ne le repousse pas lui mais, par exemple, rejette l’autorité du père telle qu’incarnée par la figure du thérapeute. D’une certaine façon, la blessure du thérapeute répond en écho à la blessure du patient.
Il n’y a lieu de parler de contre-transfert que si l’inconscient du thérapeute est à l’œuvre et qu’il reproduit involontairement et de façon récurrente les mêmes schémas émotionnels ou affectifs. Ce serait donc tout autre chose qui se joue dans l’hypothèse (plus rare mais pas inexistante) d’un thérapeute « prédateur », qui profite sciemment du transfert de ses patients pour asseoir son ascendant sur eux et en tirer un bénéfice personnel, d’ordre financier, moral ou sexuel. Plutôt que de contre-transfert mal géré, il faudrait alors sans doute plus parler ici de pervers-narcissisme ou juste d’escroquerie…
Les conséquences d’un contre-transfert mal géré
Dans tous les cas de figure, le thérapeute qui réagit au transfert de son patient comme s’il lui était destiné personnellement commet une faute professionnelle qui aura très probablement des conséquences négatives sur le processus thérapeutique et/ou sur son patient.
Même dans les cas « mineurs », en transformant la relation thérapeutique en une relation personnelle entre le patient et lui, le thérapeute risque de perdre sa capacité de recul et de discernement, voire sa légitimité à mener à bien le processus thérapeutique. Comment savoir si l’intérêt de son patient restera la seule boussole du thérapeute ou si le besoin de combler ses propres manques entrera également en considération dans ses choix thérapeutiques ?
Par ailleurs, en « entrant dans le jeu » du transfert, le thérapeute lui supprime ses qualités de levier thérapeutique. En effet, tant que les affects du patient restaient non matérialisés dans les faits, ils étaient l’occasion de rejouer sous contrôle ses relations du passé et de mettre en lumière son comportement inconscient (voir l’article sur le Transfert). En revanche, le passage à l’acte enlève au transfert cette qualité et ne lui permet plus de favoriser la transformation des affects du patient. L’évolution thérapeutique peut donc s’en trouver compromise. Freud écrivait à cet égard : « J’ai déjà fait voir que la technique psychanalytique réclame que le médecin refuse à la patiente qui désire de l’amour la satisfaction à laquelle elle aspire. Le traitement doit être mené dans un état d’abstinence… Je voudrais poser comme principe fondamental qu’on doit faire en sorte que le désir et l’attente subsistent, servent de forces agissantes pour le travail et les changements à accomplir, et qu’on doit prendre garde à ne pas accorder à cette source d’énergie une satisfaction substitutive ».
Quant au passage à l’acte sexuel, il sera le plus souvent fort mal vécu par le patient en transfert amoureux, même s’il lui faudra parfois un certain temps pour en prendre conscience. En effet, le patient risque de le vivre comme un abus et ce, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le caractère régressif du processus thérapeutique place le patient en position de vulnérabilité face au thérapeute. Il accepte de se livrer parce qu’il a confiance dans le caractère respectueux et bienveillant du regard que le thérapeute posera sur lui. Cette asymétrie de la relation fait peser sur les épaules du thérapeute l’entière responsabilité de garantir l’intégrité de la relation. Si le thérapeute n’a pas été à même d’assurer le respect du cadre promis, le patient peut légitimement le vivre comme une trahison.
Le fait que la séance pourrait être informelle ou non rémunérée ne change rien à cette responsabilité sur le plan éthique. Cela s’applique de la même façon à l’animateur d’ateliers collectifs en développement personnel ou spirituel, quant bien même la dimension thérapeutique serait moins présente ou moins mise en avant.
Le passage à l’acte peut même parfois être vécu comme incestueux si, à travers le transfert, le thérapeute rejouait le rôle du « père tout-puissant ». Dans la construction de l’identité de la petite fille qui tente de séduire son père, il est nécessaire que ce dernier ne cède pas à ses avances, de façon à la pousser à grandir et à se tourner vers le monde extérieur. Il en va de même ici où le patient a besoin du regard distancié de son thérapeute, et non de son rapprochement physique. Tôt ou tard, le patient ressentira qu’un passage à l’acte n’était pas une réponse juste, dès lors qu’il sait inconsciemment qu’il y avait transfert, que le thérapeute n’était pas sa « vraie cible ».
Enfin, si le patient a déjà vécu des abus sexuels par le passé, la répétition de ce passage à l’acte par son thérapeute – qui ne manquera pas de le justifier comme normal – ne pourra qu’enfoncer le patient dans une confusion totale quant à savoir ce qui est admissible ou non, ce qui est juste ou non pour lui, et renforcer l’image dévalorisée qu’il a de lui-même.
(suite de l’article ici)
Didier de Buisseret
N’hésitez pas à partager cet article, en le reprenant intégralement, sans modification ni coupure, et en citant sa source (www.presenceasoi.be)
- Le transfert amoureux, la gestion en vue de sa limitation
- Le contre-transfert, manques et blessures
Merci pour ce bel article. très intéressant. Merci
Avec plaisir !
« Autrement dit, en analysant son propre contre-transfert, le thérapeute met à jour ce que l’attitude du patient suscite chez lui et, par extrapolation, ce que le patient génère comme réaction chez les autres. »
-> Juste génial. J’ai encore pris beaucoup de plaisir à vous lire
Chouette 🙂
Très bel éclairage. Merci.
merci Didier pour ce bel éclairage du contre transfert ……ça va me « servir » dans mes consultations …..j’aime aussi l’idée de Hoponopono…..bise Fabienne
J’ai découvert votre site au hasard de mes recherches sur internet, de fil en aiguille, en cherchant à comprendre la difference entre émotion et sentiment, je suis arrivée sur votre site « presenceàsoi ». Et, à partir de là, j’ai découvert vos articles sur le « Transfert » et « Contre-Transfert », extrêmement éclairant pour moi. Merci beaucoup.
Merci. Oui, fort intéressant. Je découvre votre blog par ce biais… qui me semble être également fort intéressant ! Vive la sérendipité et internet.
Comment faire la différence entre un transfert et le faite qu après 10 ans de relation thérapeutique avec son psy s installe inéluctablement une confiance et aussi un aspect juste humain qui fait qu on apprécie le médecin mais aussi l homme derrière le médecin ? Est ce donc impossible d avoir une relation médical et également humaine ?
Il est certain que tout n’est pas projection et qu’un véritable lien peut s’instaurer avec un thérapeute, surtout sur la durée et s’il s’agit d’une approche humaniste dans laquelle le thérapeute ne reste pas uniquement sur la réserve et se livre en tant qu’être humain. La question est surtout : que fait-on de ce lien et peut-il être au service du processus thérapeutique ? Le mieux me semble de toute façon d’en parler ouvertement à son thérapeute et de ne pas rester dans les non-dits.