Éloge de l’insécurité
Nombreuses sont les personnes peu rassurées face à la vie et à ce que l’avenir leur réserve, que ce soit sur le plan matériel, affectif ou spirituel. Au-delà d’évènements précis et ponctuels, ce sentiment d’insécurité existentielle contribue grandement à susciter l’angoisse et à entraver notre élan d’amour et d’ouverture à l’égard des autres.
Des origines de l’insécurité
Qu’est ce qui est à l’origine de ce sentiment diffus d’insécurité ? Globalement, c’est la non-acceptation de l’inconnu, la crainte que ce qui « est » pourrait bien disparaître et être remplacé par autre chose d’indéterminé. Le fait que le « connu » n’est pas nécessairement satisfaisant et que « l’inconnu » ne sera pas forcément moins bien, n’y change rien : nombreux se sentent insécurisés par cette impermanence des choses et souhaitent se raccrocher à ce qui a le mérite d’être connu – et donc rassurant.
Si l’inconnu effraie, il me semble que c’est fondamentalement par manque de confiance en la vie, quand il n’y a pas la conviction que, même si certains événements semblent négatifs ou dépourvus de sens, la vie reste bienveillante à notre égard et nous offre des opportunités d’évolution.
Dans un précédent article (L’Acceptation), j’écrivais que cette foi en la vie est grandement facilitée chez ceux qui ont le sentiment d’être en connexion permanente avec le vivant et de ne faire qu’un avec la totalité. Cette vision non duelle de la vie rend le reste du monde beaucoup moins effrayant et menaçant, puisqu’il n’est plus séparé de nous et n’a plus à être vu comme une entité distincte, étrangère et potentiellement menaçante.
Cependant, cette vision d’un monde relié est loin d’être la plus répandue et est encore largement supplantée par celle d’un monde où règnent la déconnexion et la non-appartenance. Ainsi que l’écrit très justement Thomas d’Ansembourg : « La vision du monde reçue en héritage génère angoisse, solitude et perte de sens, non seulement sur le plan individuel, mais aussi sur le plan collectif. Si le monde n’est qu’une grande horloge, chaque élément un simple rouage, et le principe de vie « manger ou être mangé », et que Dieu (pour ceux qui le nomment ainsi) ne fait pas partie du jeu car il le laisse tourner tout seul, il semble bien que les individus ne puissent que se créer une société matérialiste, plutôt angoissante, de compétition, de consommation et d’apparences, où prévalent les rapports de pouvoir, l’avidité et la dépression ; à moins qu’ils ne trouvent sens et communion dans la pratique d’une religion. Mais, j’y reviendrai, souvent le Dieu des religions est à l’extérieur, comme le grand horloger, et la créature est distincte, séparée de son créateur. Ainsi, même le croyant est renvoyé à sa solitude ontologique, à sa séparation du Tout, à sa prétendue faute originelle, d’une manière qui, elle aussi, génère angoisse et impuissance ».
Celui qui perçoit le gâteau de l’existence comme réduit et n’offrant qu’un nombre de parts insuffisant risque fort de se sentir menacé par l’autre, qu’il soit migrant, réfugié syrien ou plombier polonais…
Notre système d’éducation renforce cette tendance, nous soufflant de façon plus ou moins subliminale que l’avenir est incertain et, dans cette jungle qu’est le monde moderne, qu’il faut accumuler les assurances sous forme de diplômes, connaissances, expériences professionnelles, langues étrangères…, pour quelque peu éloigner le spectre de l’aléa et nous garantir une petite place au soleil, que convoitent également d’autres forcément perçus comme concurrents ou adversaires potentiels.
Le besoin de contrôler
C’est l’essence même de la vie que d’être en mouvement constant et de garder une part d’imprévisibilité : « L’alternance dans la vie n’est pas un accident ; c’est l’ingrédient même de la vie, sa structure » (Thomas d’Ansembourg).
Ne pas admettre ni accepter que la vie soit changeante et imprévisible ne peut qu’amener dans un état de plus ou moins grande insécurité existentielle au fur et à mesure qu’apparaît combien est vaine la prétention à conserver le contrôle sur sa vie. « L’intolérance à l’incertitude représente un véritable danger pour l’équilibre psychique et l’aptitude au bonheur » (Frédéric Fanget).
Ce souci du contrôle a atteint son paroxysme dans le concept du « risque zéro ». Il y a de plus en plus une véritable intolérance au risque, au hasard ou à la perte. S’il est judicieux de ne pas s’exposer inutilement à des risques idiots, inutiles ou facilement évitables, ce désir de certitude contribue à maintenir continuellement dans la peur. En effet, quelles que soient les assurances et les précautions prises, l’existence contiendra toujours une part non négligeable d’aléas et de changements qui échapperont à notre contrôle.
S’ouvrir à l’inconnu
Outre l’angoisse qu’elle génère, l’aversion à l’incertitude a aussi pour inconvénient d’être un réel frein au développement spirituel. Krishnamurti disait à cet égard : « Un esprit qui veut être sûr de tout est un esprit mort car il n’y a dans la vie aucune certitude, aucune permanence ».
Le côté prévisible et répétitif de la sécurité rend les gens passifs et frileux à l’égard de la nouveauté, tandis que l’insécurité vue comme un défi, une « mise en danger » revigorante, les rend vivants, curieux, vifs et aventureux, réceptifs aux synchronicités, aptes à se laisser toucher par les rencontres et prompts à saisir les opportunités.
Lorsque que l’on s’agrippe au « connu », comment rester ouvert aux opportunités d’évolution qui nous sont proposées à tout moment par la vie ? Le fait que tout change, qu’on le veuille ou non, constitue un vrai potentiel de transformation pour chacun. La vie est un professeur qui nous offre la possibilité d’être en état d’apprentissage permanent pour peu d’être réceptif à ses leçons.
Amasser des connaissances peut parfois être une façon d’éviter de s’ouvrir aux leçons de la vie, dans l’espoir qu’en augmentant le nombre de choses connues, la part d’imprévisible ira en diminuant pour devenir de plus en plus contrôlable. C’est méconnaître la nature de l’existence. On a beau disséquer, étiqueter, analyser et classifier le vivant, une part de mystère insondable restera toujours hors de portée des tentatives de compréhension rationnelle. Plutôt que de le déplorer, il faut s’en réjouir et célébrer ce mystère qui donne à la vie toute sa poésie et sa beauté. Il ne s’agit pas de dénigrer les progrès de la science qui aident au recul des superstitions et de l’obscurantisme mais de tempérer les excès du cartésianisme et du matérialisme qui, dans leur volonté de rationalisation à tout crin, contribuent à désenchanter le monde.
Napoléon Bonaparte, aventureux s’il en est, était conscient de la nécessité de laisser la bride à l’imprévu afin de permettre aux potentialités non encore révélées de s’épanouir, lorsqu’il disait : « Celui qui, au départ, insiste pour savoir où il va, quand il part, et par où il passe n’ira pas loin ».
Se développe pourtant une vraie phobie de l’incertitude où, par « peur d’avoir peur, certains restent sur le seuil de leur propre existence, n’osant jamais réellement se frotter à la vie de crainte de s’y piquer. « De nombreuses personnes ont décidé de vivre a minima, simplement par peur de tomber s’ils se donnaient au maximum. Il est plus sécurisant de vivre a minima ; il est encore plus sûr de ne pas vivre du tout ! Personne n’a jamais entendu dire que les morts souffrent d’insécurité. Les cimetières sont les lieux les plus sûrs » (Osho).
Paradoxe suprême, à force de se prémunir contre la vie, on arrive finalement par être saisi de la peur de rater la sienne, de rater la rencontre avec qui nous aurions pu devenir, prévient Pascal Bruckner : « La véritable angoisse résulte moins dans la certitude d’avoir à mourir que dans l’incertitude d’avoir vraiment vécu ».
L’insécurité invite à goûter pleinement au moment présent, à vivre chaque instant comme s’il était le dernier. En osant s’ouvrir à la nouveauté, à l’inédit, de nouvelles portes s’ouvrent et l’existence prend une saveur toute particulière.
La vie est faite pour y mordre à pleines dents, non pour y picorer du bout des lèvres, ainsi que le rappelle Neale Donald Walsch : « Si votre première préoccupation est la garantie d’une sécurité, vous pourriez bien ne jamais faire l’expérience des joies véritables de la vie. Je ne vous suggère pas de devenir imprudent, je vous invite seulement à être plus audacieux ».
La peur, une alliée
Lorsque la peur est présente, plutôt qu’essayer de lui échapper, il est intéressant de se mettre à son écoute, de se laisser instruire par elle. Elle a beaucoup à nous apprendre sur nous-même. En reconnaissant sa légitimité et en lui laissant prendre la place qui est la sienne, la peur nous informe sur nos besoins insuffisamment rencontrés et sur les blessures dont nous devrions prendre soin. En nous indiquant les chemins à explorer, la peur nous offre de magnifiques opportunités d’approfondissement de la compréhension des mécanismes qui nous habitent.
Dans une capsule vidéo délicieusement parodique (ici), Mr Ramesh nous invite à sauter à pieds joints dans notre peur et à célébrer le fait d’être en vie. Osho ne dit pas autre chose : « Chaque fois que vous avez peur, souvenez-vous de ne pas faire marche arrière, car ce n’est pas une solution. Entrez dans la peur. Si vous avez peur de l’obscurité, allez dans la nuit – car c’est la seule façon de la surmonter. C’est la seule façon de transcender la peur ».
D’une source d’angoisse, cette vision confiante en la vie permet de transformer l’incertitude en une alliée, de faire d’un problème une nouvelle palette de solutions. Laissons Rabbi Nahman conclure par cet éloge aux chemins de traverse et à la célébration des mystères de la vie : « Ne demande jamais ton chemin à celui qui le connaît, car tu ne pourrais plus t’égarer ».
Didier de Buisseret
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Merci pour ce bel article, cher Didier ! J’aime beaucoup la simplicité et la pertinence de tes propos, ainsi que la manière dont tu synthétise plusieurs auteurs. Tout cela est très beau et plein de Sens ! 🙂
Merci Roseline 🙂
Un très beau point de vue, Didier. Nécessaire.
A transmettre sans hésiter à toutes les rédactions, auprès de tous les editoralistes.
Merci Pierre. N’hésite à diffuser autours de toi 🙂
……Merci Didier , j’adore et …..ton article « tombe bien » ……..
Avec plaisir, Fabienne 🙂
Bonjour Didier,
J’ai lu tes articles précédents sans avoir le besoin ou l’envie de laisser un commentaire.
Celui-ci, cependant est mon préféré et il m’a touché par sa véracité !
La petite vidéo de Mr Ramesh est particulièrement drôle et vivifiante …. MERCI
Merci Agnès :-). Que tout se passe bien pour toi !