Présence à soi

L’immaturité du Yang

Il arrive d’entendre des femmes se plaindre du manque de maturité dans le chef d’hommes de leur entourage : elles trouvent qu’ils ont un comportement irresponsable, ne sont pas capables de s’engager affectivement, se comportent comme des petits garçons qui cherchent à tester les limites ou ont besoin d’approbation…

Ce qui est pointé du doigt, ce n’est pas tant un Masculin en excès, mais un Masculin qui n’est pas arrivé à un stade de maturation suffisant. Ce qui est généralement reproché au patriarcat pourrait donc correspondre en réalité à des formes immatures du Masculin.

Roi, Guerrier, Magicien, Amant

Cet intéressant point de vue est développé par deux auteurs, Robert Moore et Douglas Gillette, dans un livre qui a eu un écho certain aux Etats-Unis : King, Warrior, Magician, Lover : Rediscovering the Archetypes of the Mature Masculine[1].

Les archétypes du Masculin

A la suite des travaux de Jung, Moore & Gillette partent du postulat que la psychologie masculine est composée de quatre archétypes majeurs. Chaque archétype dispose d’une forme mature (celle de l’homme) et d’une forme immature (celle du garçon).

Les quatre archétypes sous leur forme mature sont le Roi, le Magicien, l’Amant et le Guerrier. Dans le cadre de cet article, seul l’archétype du Guerrier (et sa forme immature, le Héros) sera analysé, car son processus de maturation me semble le plus parlant. Pour une analyse plus détaillée des autres archétypes, je vous renvoie vers mon livre « Des hommes en chemin – Vers un masculin conscient »[2].

Bémols

Je n’adhère pas complètement à l’analyse de Moore & Gillette car, au 21ème siècle, il me paraît réducteur de considérer que ces quatre énergies sont réservées aux seuls hommes, hétérosexuels de surcroit. Si l’archétype du guerrier existe, il doit en aller tout autant de celui de la guerrière[3].

Il serait dès lors plus correct de parler d’archétypes du Yang, que du Masculin.

Ce bémol mis à part, il me semble utile de résumer ici cet approche (qui a peu d’écho en francophonie) car elle met en lumière l’importance d’un cheminement vers la maturation du Yang.

Le Héros et le Guerrier

Le Héros

L’archétype du Héros est le dernier archétype immature que rencontre le garçon dans son évolution, au stade de l’adolescence. Il est porté par un besoin de dépassement, de transcender sa condition de garçon pour accéder au statut d’homme. Son besoin d’affirmer son masculin passe par une prise de distance à l’égard de l’univers féminin qu’incarne sa mère.

Chaque archétype peut s’exprimer de trois façons : la pleine expression de l’archétype et deux expressions dysfonctionnelles (en excès de Yang ou de Yin).

Dans son expression dysfonctionnelle en excès de Yang, le Héros ressent en permanence le besoin de prouver sa valeur par le biais de la domination. Son affirmation de sa virilité, réelle ou fantasmée, passe par une confrontation et un rejet des aspects du féminin, qu’il associe à de la faiblesse.

Dans son ombre en excès de Yin, le Héros cherche à combler la blessure de défusion à l’égard de sa mère en rejetant l’agressivité du Yang et tout ce qui est associé à un masculin dominateur.

Le Guerrier

Le Guerrier est la prolongation mature du Héros. Il est dans l’action dynamique mais il utilise sa puissance avec discernement en la mettant toujours au service d’une cause juste, dans une posture d’humilité. Sa force est protectrice, jamais dominatrice.

Le Guerrier est en paix avec sa polarité Yin et accueille la vulnérabilité en lui, grâce à quoi il reste humain et sensible.

Les blocages dans le processus de maturation

Les étapes du développement

Pour accéder à la maturité du Guerrier, l’adolescent doit trouver la juste prise de distance à l’égard de sa mère et de l’univers féminin. Une fois que l’adolescent se sent stable et serein dans son statut d’homme, il ne perçoit plus le Féminin comme une menace pour son identité masculine.

Après neuf mois de gestation dans le ventre maternel et l’intimité des premiers mois d’allaitement, le nourrisson va sortir progressivement de la fusion avec sa mère. Pour la fille, cette expérience de fusion se prolonge tout naturellement dans l’identification avec son propre sexe.

Pour le garçon, c’est différent, car il va devoir se différencier de sa mère à laquelle il s’est identifié dans un premier temps. Comment en effet ne pas penser que cette période totalement fusionnelle avec la mère ait laissé une profonde empreinte féminine en lui ?

Pour les garçons, le processus d’identification comprend donc une étape supplémentaire par rapport aux filles. Cette première étape de différenciation à l’égard du féminin maternel, propre aux garçons, est censée être provisoire pour céder la place à une deuxième étape, l’identification au masculin.

Mais bien souvent, la première étape se prolonge et se dilue dans la deuxième, en sorte que l’identification au Masculin se fait à travers l’opposition au Féminin et dans le rejet de la part Yin de l’homme.

Accéder au monde des hommes signifie alors arborer exclusivement et à outrance les codes de la virilité qu’incarne le Héros : fort, conquérant et dominant. Et, surtout, pas efféminé.

L’insécurité du Héros

Même s’il a bonne presse dans l’imaginaire collectif, le Héros est un archétype immature. Il est égoïste, préoccupé par sa seule gloire. Figé dans l’action et la compétition, le Héros ne cesse d’affronter d’autres hommes. C’est l’image du cow-boy solitaire qui repart à l’horizon vers d’autres aventures, incapable de se poser, d’ouvrir son cœur et de construire quoi que ce soit de durable.

Dans l’insécurité constante de son identité masculine, le Héros associe toutes les qualités Yin à de la faiblesse. Il ne s’autorise pas la sensibilité ou les émotions et pose une chape de plomb sur ses blessures et ses souffrances. De peur de voir son identité d’homme remise en cause, il récuse la tendresse et la compassion. Son Yang n’étant pas contrebalancé par le Yin, le Héros peut facilement verser dans la violence, l’agression et la destruction.

Le Héros croit être connecté à sa puissance mais, dans sa version immature, elle n’est qu’une tentative de prise de pouvoir sur l’objet de sa peur, le Féminin. Sur le plan corporel, le bassin (siège de la puissance) du Héros est déconnecté de son cœur (siège de la vulnérabilité), ce qui l’empêche de se relier à sa véritable puissance[4].

Bien qu’arrivés à l’âge adulte, de nombreux hommes restent bloqués à ce stade immature du Héros, glorifié dans les médias comme la quintessence de l’homme. Une bonne part des griefs adressés au Masculin sont en réalité dus à cet état de fait.

Du Héros au Guerrier

Pour évoluer vers le Guerrier, forme mature de l’archétype, et connecter sa véritable puissance, le Héros doit accueillir et accepter sa vulnérabilité, à savoir sa part Yin.

Beaucoup d’hommes opposent la fragilité à la force, alors que le contraire de la fragilité, c’est l’insensibilité, l’incapacité à se laisser toucher émotionnellement.

Tant qu’il ne va pas à la rencontre de ses blessures et les cache aux autres, l’homme reste fragile. Une fois que sa faiblesse est assumée, elle a la possibilité de se transformer et devient une force qui lui donne accès à sa véritable puissance. Autrement dit, c’est une fois qu’il s’allie au Yin que le Yang peut se déployer pleinement et dans la justesse.

Pour accéder à l’énergie du Guerrier, l’homme doit donc passer par une troisième et dernière étape. Après la différenciation avec la mère, et l’identification au Masculin, c’est la réconciliation avec le Féminin.

Le processus de maturation

Un chemin de conscience

Le processus de développement de l’homme consiste à reconnaître et à développer de façon équilibrée l’énergie des quatre archétypes et à les intégrer en lui sous leur forme mature.

Avant d’accéder à la forme mature d’un archétype, l’homme doit avoir préalablement développé la forme immature qui y correspond.

Pour accéder à la pleine expression d’un archétype, il faut reconnaître en soi-même l’existence des deux « ombres » dysfonctionnelles de l’archétype. Ainsi, lorsque nous sommes dans l’énergie du Guerrier, nous avons tous en nous une tendance latente à basculer soit vers la domination (excès de Yang), soit vers un rejet de la puissance (excès de Yin).

La progression vers la maturité est rarement linéaire ou homogène. Il est possible d’avoir fort progressé sur un aspect et d’être nettement plus à la traîne sur un autre ou, par exemple, d’avoir développé certaines caractéristiques du Guerrier tout en étant encore sur certains autres points toujours au stade immature du Héros.

L’acceptation des ombres

Les deux ombres (excès de Yin ou de Yang) sont présentes et potentiellement actives chez tout le monde sans exception.

Une part substantielle du chemin de maturation consiste à reconnaître l’existence de ces ombres en nous et à prendre notre responsabilité à leur sujet.

C’est en conscientisant ces ombres et en acceptant leur présence qu’il devient possible de les faire évoluer et de les amener vers la lumière.

C’est ce chemin d’évolution qui permet à l’homme d’accéder à la plénitude de l’archétype.

Didier de Buisseret

N’hésitez pas à partager cet article, en le reprenant intégralement, sans modification ni coupure, et en citant sa source (www.presenceasoi.be)


[1] Traduction libre du titre : Roi, guerrier, magicien, amant : redécouvrir les archétypes du Masculin Mature, éd. HarperOne, 1990

[2] Editions Massot, 2021 https://massot.com/collections/des-hommes-en-chemin/

[3] Les femmes passent d’ailleurs aussi par des phases de maturation, et un stade d’immaturité du Féminin existe tout aussi bien. Mais ce n’est pas le sujet de l’article.

[4] A mon sens, la puissance est une des facettes du Yang et n’est, de ce fait, pas l’apanage des seuls hommes. Dans ma vision, quelqu’un est dans sa puissance lorsqu’il est connecté à la fois à l’énergie présente dans son bas-ventre mais également à son cœur. Il y a un parfait alignement entre les deux. Il émane alors de lui une autorité paisible, une force tranquille et bien centrée. 

10 commentaires pour “L’immaturité du Yang

  1. DOUILLET Pierre

    Article intéressant avec cet approche de l’immaturité du yang. Une description beaucoup plus scientifique et psychologique (et moins ésotérique) de cette immaturité bien réelle peut être trouvée dans le remarquable +++ livre de feu le psychiatre britannique Robin Skynner (co-écrit avec l’auteur dramatique John Cleese) publié en 1986 « Families and how to survive them » chez METHUEN et retraduit (après ma propre traduction) et publié chez Odile Jacob sous le titre « La famille comment s’en dépêtrer ». Le chapitre 5 intitulé « Qu’est ce que vous faites là tous les deux ? » retrace avec une rare intelligence la progression lente et fragile des garçons du milieu féminin maternel vers le pôle masculin paternel pour acquérir une virilité saine. Avec une description de tous les blocages possibles. D’une rare clarté. À lire +++ et à faire lire !
    Dr Pierre DOUILLET (Pédiatre retraité)

  2. Mélusine Shaw

    Le tantra est un formidable chemin d’éveil qui nous fait connecter et expérimenter dans la relation aux autres et dans le corps ce que vus exposez là. Merci !

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