Présence à soi

L’acceptation de soi, par la non-dualité (partie 2)

Non-dualité

(Lire le début de l’article ICI)

L’acceptation de soi, par la non-dualité

Lorsqu’elle prend en considération et intègre notre part d’humanité, la non-dualité est une magnifique voie d’acceptation de soi et de toutes les parts qui nous constituent. C’est la voie qu’emprunte le Tantra.

Ce chapitre puise très largement dans le livre L’acceptation profonde, de Jeff Foster[1], avec lequel je me sens fort en résonnance.

Le sentiment d’incomplétude

L’approche de la non-dualité postule que tous les êtres vivants sont connectés et reliés. Mais peu d’entre eux ressentent et ont conscience de cette connexion. Cela a pour effet que la plupart des gens se sentent séparés et incomplets.

Selon Foster, c’est ce sentiment d’incomplétude et d’insatisfaction dans l’instant présent qui nous pousse à rechercher des choses futures comme le succès, l’argent, l’amour… Nous croyons que lorsque nous obtiendrons tout cela, nous nous sentirons enfin complets. En pratique, ce n’est cependant jamais le cas et, au contraire, c’est cette quête illusoire qui est la source de notre souffrance.

Foster prend l’image de l’océan, qui représente le vaste cosmos : nous sommes tous des vagues dans cet océan. Chaque vague se sent séparée de l’océan et passe sa vie à rechercher la complétude à travers mille quêtes illusoires. Mais fondamentalement, ce que la vague recherche, c’est l’océan. Pourtant, l’océan s’exprimait depuis le début à travers cette vague, comme à travers toutes les autres.

La paix se trouve dans l’acceptation du moment présent, même s’il semble insatisfaisant. En voyant que la complétude est déjà présente au sein de cette insatisfaction, le sentiment de manque n’a plus lieu d’être.

Lorsqu’une impression de manque est profondément autorisée à être telle qu’elle est, le manque n’est plus un manque. Il n’est plus une recherche pour obtenir la complétude, mais juste un ensemble de sensations qui apparaissent et disparaissent en vous.

L’image de la vague et de l’océan

Cette même image de l’océan est reprise par Foster pour décrire notre fonctionnement intérieur. Puisque chaque individu est l’expression du monde et contient le monde en lui, une image valant pour le cosmos vaut donc aussi pour chacune de ses composantes.

Vous êtes un vaste et profond océan. Cet océan contient les multiples vagues que sont vos pensées, vos jugements, vos sensations, vos impressions… Toutes ces vagues diverses et variées apparaissent et disparaissent dans le vaste espace ouvert que vous êtes.

Il y a des vagues immenses et furieuses, d’autres qui sont de doux clapotis. Malgré leur multiplicité, dans leur essence, elles sont toutes faites d’eau. Chaque vague de pensées ou de sensations est une expression de la danse de l’océan.

L’océan est dans une acceptation tranquille de chacune des vagues, quelles qu’elles soient, car il sait qu’aucune d’elles ne peut le blesser ou le menacer dans son identité.

Le conditionnement à l’imperfection

La peur, la tristesse, la douleur…, tout cela apparaît et disparait dans l’océan que vous êtes. Sur le plan ultime, cela ne pose aucun problème. Par contre, du point de vue de notre humanité, nous voyons ces vagues comme problématiques car nous pensons qu’elles font obstacle à la complétude du moment présent.

Notre éducation nous a conditionnés à voir ces vagues comme imparfaites et rendant notre expérience du présent incomplète. Nous portons un jugement sur ces vagues, estimant que certaines sont une menace pour l’intégrité de l’océan, qu’il faudrait s’en débarrasser pour que l’océan retrouve sa plénitude.

Nous essayons alors de contrôler l’apparition des vagues, d’en autoriser certaines et pas d’autres. Une bonne part de la souffrance humaine vient de cette tentative illusoire de contrôle de l’apparition des vagues.

Entrer en guerre contre certaines de ses pensées ou de ses sentiments n’a pas de sens, cela équivaudrait pour l’océan à se battre contre les vagues qui naissent en lui. C’est une lutte sans fin et sans vainqueurs.

L’autorisation d’exister

Faut-il dès lors accepter toutes les vagues ? En fait, il n’est même pas nécessaire d’entamer un processus volontaire d’acceptation.

Chaque expérience (pensée, sentiments…) est légitime en elle-même du seul fait de son existence. Au moment précis où une vague nait, elle a déjà été acceptée par l’océan.

Il n’est donc pas nécessaire que vous acceptiez la vague, car cette acceptation a déjà eu lieu. Il n’y a pas besoin de permettre quoi que ce soit, simplement de reconnaître que cette vague a déjà été admise, qu’elle est déjà à l’intérieur, depuis toujours.

La désidentification

Nous continuons pourtant à être en résistance contre les vagues qui viennent menacer l’image que nous avons de nous-mêmes. Nous avons la croyance que si nous laissons faire, nous devenons ce que nous pensons ou ressentons.

Si une vague d’impressions de colère apparaît en moi et que je ne lutte pas contre elle, j’ai peur de devenir colérique, d’entériner le fait que je suis – et serai définitivement –colérique. Si en temps normal je me renvoie l’image d’une personne douce et calme, je ne pourrai admettre la survenance de cette vague qui vient me menacer dans mon identité.

Pourtant, une vague, aussi extrême soit-elle, ne définit pas l’océan. Nous ne sommes pas définis par ce qui nous traverse et ne fait que passer.

Ainsi, vous ne pouvez être malheureux, vous pouvez juste vous sentir malheureux à un moment du fait des vagues de malheur qui apparaissant et disparaissant en vous[2].

Jeff Foster trouve une autre image très parlante à ce sujet : vous êtes comme un écran de cinéma. Quel que soit le film projeté, l’écran reste identique et inaltéré. Un film triste ne rend pas l’écran dépressif.

De même, ce n’est pas l’écran qui crée le film diffusé. Vous ne créez pas vos pensées ou vos émotions, vous n’en êtes pas l’auteur. Les pensées et les émotions apparaissent et disparaissent en vous, tout simplement.

S’autoriser le « négatif »

Nous étiquetons les pensées et les émotions en « négatives » ou en « positives ». Nous sommes réticents à accueillir celles vues comme négatives car nous n’aimons pas ce qu’elles disent à notre sujet.

Dès qu’il y a réticence à accepter une pensée ou une émotion, observez-la bien car elle vous indique quelle fausse image de vous-mêmes vous êtes en train de défendre.

En pratique, les pensées ou les émotions ne sont ni positives, ni négatives. Elles sont neutres. C’est notre mental qui les classifie et décide quelles vagues sont acceptables ; c’est-à-dire compatibles avec l’image que nous avons de nous-même.

Pour reprendre l’exemple de l’écran de cinéma, un écran n’a aucune préférence pour le style de films qui sera projeté sur lui. Que ce soit un film d’auteur, de romance ou de guerre, tous sont autorisés à apparaître et disparaitre. Aucun ne menace ni n’altère l’écran.

Aucune vague n’est intrinsèquement sombre ou mauvaise. Une soi-disant vague sombre ne s’oppose pas à la lumière ; elle est déjà la lumière, mais elle n’est pas reconnue comme telle. Ce que nous appelons sombre est simplement de la lumière rejetée et mal aimée.

Une part d’ombre réhabilitée et ramenée dans la lumière pourra alors évoluer et se déployer dans toute sa beauté.

Chaque être humain est un océan suffisamment vaste pour contenir l’intégralité de la vie, toutes les vagues d’expérience, les « bonnes » comme les « mauvaises ».

L’absence d’opposés

S’il n’y a pas de vagues positives ou négatives, il n’y a pas non plus de vagues intrinsèquement meilleures ou supérieures à d’autres.

Notre mental aime créer des classifications duelles. Lorsqu’il estime par exemple que la beauté est une « bonne » vague, le mental va immédiatement y accoler ce qu’il estime être son opposé, son repoussoir : la laideur. Dès lors que les vagues en lien avec la laideur ne coïncident pas avec ce que nous considérons comme acceptable, nous nous efforcerons de les repousser.

Pourtant, une impression n’a pas d’opposé. Toutes les impressions, toutes les émotions sont des expériences complètes et à part entière.

Les opposés n’existent pas, il s’agit d’une pure création de l’esprit qui divise artificiellement une expérience en deux pôles et porte un jugement de valeur sur chacune d’elle.

Reprendre son pouvoir

Admettre la présence d’une vague qui vient contredire notre image idéalisée ne vient pas nous fragiliser, comme on pourrait le croire, mais nous redonne au contraire du pouvoir et de la liberté.

Jeff Foster prend l’exemple d’un père qui ne parvient pas à maintenir le calme entre ses enfants et, frustré de son impuissance, devient colérique à leur encontre. Et plus il refuse d’admettre que ce sentiment d’impuissance puisse parfois apparaître en lui, plus cela le met en colère.

En revanche, une fois qu’il permet à cette vague de le traverser, qu’il s’autorise à être parfois impuissant, l’impuissance ne le contrôle plus. Et plus il se l’autorise, moins il se sent impuissant.

En voyant que son impuissance était déjà admise dans l’expérience de l’instant présent, ce père a pu admettre son impuissance. Il a pu arrêter d’essayer de tout contrôler et être honnête avec le fait que, parfois, il ne maitrisait pas tout, et que c’était admissible. Il est en effet infiniment reposant de ne plus avoir à maintenir, pour soi-même ou les autres, une fausse image de soi.

En s’autorisant complètement à se sentir parfois impuissant, ce père retrouve une liberté, il ne se définit plus comme « celui qui est impuissant ».

Mais l’acceptation d’une vague inconfortable ne signifie pas la disparition comme par miracle de tout inconfort, il ne faut pas se leurrer sur ce point. L’acceptation permet une prise de distance, une désidentification, qui ne va plus alimenter les luttes intérieures et ramène plus de sérénité. C’est déjà beaucoup.

L’acceptation de la non-acceptation

Sur le plan ultime, tout est déjà admis et accepté. En revanche, sur le plan humain, il est parfois beaucoup plus compliqué d’accueillir certaines choses, comme, par exemple, une forte douleur chronique.

Une erreur répandue auprès des chercheurs spirituels est qu’il nous faudrait être capable de tout accueillir en permanence, que rien ne devrait nous poser problème. Si on se place du point de vue de notre humanité, c’est évidemment utopique. Et toxique, car cet idéal inatteignable ne peut qu’amener au déni ou à la culpabilité de ne pas y arriver.

La perfection de notre posture spirituelle est une autre fausse image de nous-même dont il est bon de se défaire. Être face à une vague qui nous est inacceptable est une bonne occasion pour cela.

L’acceptation profonde n’a pas nécessairement besoin que nous soyons à l’aise avec la douleur. Notre non-acceptation de la douleur est totalement et déjà admise dans l’expérience présente.

Voyez comment vous pouvez vous détendre en présence de votre douleur et en même temps en présence de votre envie d’échapper à cette douleur, sans chercher à modifier quoi que ce soit. Constatez que les deux ont déjà été autorisés dans l’instant. Vous êtes assez vaste pour accueillir tout et son contraire, et trouver l’acceptation au cœur de la non-acceptation.

Il n’y a plus rien à défendre

Lorsque nous admettons en nous l’apparition de toutes les vagues d’expérience, même les plus inconfortables, nous réintégrons en nous toutes nos parts d’ombre.

Lorsqu’une part d’ombre est réhabilitée dans la lumière, son opposé idéalisé n’a plus lieu d’être. Ainsi, si vous pouvez admettre en vous l’apparition d’une vague d’égoïsme, vous n’avez plus besoin de vous accrocher à une image d’altruisme.

S’il n’y a plus d’image de soi à laquelle s’identifier et s’accrocher, il n’y a plus besoin de défendre quoi que ce soit. Et vous pouvez alors être simplement qui vous êtes.

Didier de Buisseret

N’hésitez pas à partager cet article, en le reprenant intégralement, sans modification ni coupure, et en citant sa source (www.presenceasoi.be)


[1] Jeff Foster, L’acceptation profonde, éd. Almora, 2014.

[2] Cela est parfaitement vrai sur le plan absolu. Sur le plan humain/relatif, cela me semble plus nuancé. S’il y a bien sûr des émotions qui ne font que passer, chaque individu possède aussi un caractère et un tempérament qui, d’une certaine façon, participent à le définir.

4 commentaires pour “L’acceptation de soi, par la non-dualité (partie 2)

    1. Didier Auteur du post

      C’est difficile, car nous sommes conditionnés à estimer incomplète toute expérience vécue comme désagréable ou inconfortable

  1. Pascal

    C’est surprenant de constater que cette non dualité est évidente et semi consciente chez moi mais il faut de l’attention pour en prendre conscience et trouver les quelques zones qui résistent.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.