Présence à soi

Le transfert amoureux, la gestion en vue de sa limitation

Sigmund Freud

Le début de cet article est ici.

Le thérapeute (au sens large du terme) n’ayant généralement pas été formé spécifiquement à traiter la question du transfert, il est d’autant plus important qu’il soit conscient des probables transferts à son égard dans le chef de ses patients et apprenne à les gérer ; que ce soit pour les limiter ou pour s’en servir comme levier thérapeutique.

La gestion du transfert en vue de sa limitation

La raison pour laquelle le patient a entamé une thérapie n’a pas nécessairement de lien immédiat avec ses réactions affectives mises à jour à l’occasion de son transfert. Dans ce cas, il se peut tout à fait que le patient ne veuille pas ou ne soit pas prêt à travailler sur ce qui est à l’origine de son transfert et qu’il souhaite circonscrire la relation thérapeutique à la raison initiale de sa venue. Ainsi, une personne ayant consulté un coach en vue de réorienter sa carrière professionnelle ne sera pas forcément encline à se pencher sur l’origine de ses manques affectifs, quant bien même son attirance pour son coach laisserait suspecter un transfert.

Il n’appartient pas au thérapeute de « sauver » son patient malgré lui et d’initier un travail thérapeutique que ce dernier ne souhaite pas.

Mais en l’absence de travail spécifique sur ce transfert, il est peu probable que le patient puisse prendre réellement conscience des mécanismes qui en sont à l’origine. Le processus naturel de liquidation du transfert ne pouvant se faire sans cette prise de conscience, il est donc probable que le transfert perdurera, avec les conséquences négatives probables que cela entraînera pour l’équilibre du patient et la réussite de sa thérapie.

Si le transfert n’est pas utilisé comme outil thérapeutique, la meilleure chose à faire pour le thérapeute est donc d’éviter de nourrir ce transfert et de le désamorcer dès que possible (sa suppression totale étant probablement illusoire).

Le thérapeute se doit déjà d’être conscient du pouvoir de l’image de sa profession aux yeux de ses patients. Certains patients sont déjà en transfert dès le moment de la prise de rendez-vous, avant même d’avoir rencontré leur thérapeute, tellement ils ont de fortes projections à l’égard du statut professionnel du thérapeute.

Il est rarement judicieux de la part du thérapeute de partager avec son patient des confidences sur sa vie privée, d’accepter d’aller boire un verre ou de manger au restaurant avec lui et, en règle générale, qu’il y ait une interpénétration entre leurs deux vies privées. C’est évidemment plus subtil – et donc plus délicat – quand le statut du patient n’est pas clair : s’il est une connaissance ou un proche du thérapeute ou si l’un des deux se glisse implicitement dans le rôle du thérapeute lors d’un échange informel entre deux praticiens (cfr. l’article Quand le massage tantrique dérape).

Auparavant, le thérapeute maintenait une distance claire à l’égard de ses patients. Depuis les travaux du psychologue Carl Rogers (1902-1987) mettant en lumière les bienfaits de l’écoute empathique et des échanges interactifs entre le thérapeute et son patient, cette distance s’est nettement rétrécie. Ainsi, dans le milieu du développement personnel, il est aujourd’hui souvent d’usage de se tutoyer et de se faire la bise pour se saluer. Et dans les thérapies corporelles, la proximité – voire une certaine intimité – physique peut être de mise.

Il incombe au thérapeute d’apprécier quel degré de proximité ou d’intimité est adéquat pour chaque patient et de percevoir à chaque fois si telle attitude de sa part va dans le sens de la guérison du patient ou, au contraire, risque de le renforcer dans son transfert. Ainsi, en fonction du client, le thérapeute devra sentir quand il est préférable de maintenir le vouvoiement, de limiter les échanges téléphoniques ou par emails, d’espacer les séances et, en règle générale, d’éviter tout comportement qui pourrait ajouter de la confusion ou de l’ambiguïté quant à la nature de leur relation (paroles ou gestes affectueux, bisous, attentions trop marquées…). En pratique, ce n’est jamais facile et cela demande une grande capacité à prendre du recul face à la relation qui est en train de s’installer.

Lorsque par faiblesse ou défaut de vigilance le thérapeute a laissé le transfert se développer, sa gestion devient de plus en plus délicate. Dans certains cas, ne sachant comment agir ou afin de ménager son patient et de lui éviter une trop grande désillusion (ou de peur de perdre un client…), le thérapeute pourrait imprudemment être tenté de postposer la clarification nécessaire, au risque de laisser ce transfert grandir jusqu’à devenir totalement ingérable.

Dans d’autres cas, effrayé par l’ampleur d’un transfert dont il n’a pris la mesure que trop tardivement, le thérapeute pourrait vouloir liquider ce transfert de façon soudaine et brutale, ce qui n’est pas non plus sans danger car le patient pourrait y réagir de façon impulsive et émotionnelle en rejetant en bloc le thérapeute et la thérapie, voire toute idée de traitement.

La gestion du transfert en tant qu’outil thérapeutique

Même s’il n’en fait pas le centre ou le moteur de la thérapie, le thérapeute a la possibilité de profiter du transfert en cours pour  éclairer et conscientiser son patient à propos du processus à l’œuvre.

Le thérapeute prend alors la responsabilité de la gestion de ce transfert et de son propre contre-transfert (voir article suivant). Le thérapeute ne peut s’exonérer sur le patient de cette responsabilité, d’autant plus que pour ce dernier, le processus se déroule majoritairement de façon inconsciente.

Pour le thérapeute, cela commence par poser un cadre rassurant et bien balisé, dans lequel les affects du patient auront la possibilité d’éclore librement mais tout en étant contenus dans un périmètre bien circonscrit. Et une fois qu’il aura posé ce cadre sécurisé, le thérapeute devra se porter garant de son respect. C’est à ce prix que le patient pourra lâcher-prise en confiance, sachant que son thérapeute restera vigilant (pour les deux) à ce que leur relation ne dérape pas.

Ensuite, le rôle du thérapeute sera d’inviter son patient à oser ressentir pleinement les affects qui l’habitent, à les conscientiser et puis, surtout, à les accueillir sans les juger.

En revanche, le thérapeute veillera à ce que ces affects ne puissent être mis en acte à son égard. Ainsi, si le patient ressent du désir sexuel pour son thérapeute, il est bon et nécessaire que les deux protagonistes puissent en parler librement afin de travailler sur cette question, mais sans que ce désir ne se concrétise dans une relation sexuelle entre eux. La mise en acte de ce désir ne ferait que répéter des schémas du passé, avec pour conséquence négative de les renforcer, sans permettre au patient de conscientiser les mécanismes sous-jacents à son désir.

Enfin, il appartient au thérapeute de veiller à la clôture du transfert, qui devrait s’opérer naturellement dès que les affects ont été conscientisés et accueillis par le patient.

Spécificités du massage tantrique

Les thérapies corporelles sont particulièrement propices à l’éclosion d’un transfert, de par la proximité physique et les échanges entre les deux protagonistes. C’est encore plus marqué dans le massage tantrique, mon domaine de prédilection, où la sexualité constitue un des principaux matériaux de travail (cfr l’article Tantra et sexualité).

A fortiori s’il y a eu travail sur l’énergie sexuelle, le thérapeute veillera à ce que son patient perçoive le sens de ce qui s’est déroulé lors de la séance et sa raison d’être dans le fil thérapeutique qu’il est en train de suivre. Dès qu’il sent qu’une ambiguïté pourrait s’installer, le thérapeute se doit de clarifier la situation à l’égard de son patient, sans lui laisser le temps de s’égarer dans des projections mentales.

Compte-tenu de l’intimité inhérente à la pratique du massage, il est d’autant plus important de trouver la juste distance émotionnelle et affective. Certaines écoles de thérapie corporelle préconisent de compenser la proximité physique par une « distance psychique » très claire. Cette approche ne me semble toutefois pas convenir au massage tantrique qui suppose une grande présence aimante du praticien, qui se laisse toucher – au sens figuré du terme – autant qu’il touche (cfr l’article L’esprit du massage tantrique).

Ce travail, sur le « fil du rasoir », requiert de la part du praticien d’être particulièrement bien centré et équilibré, en sorte que la clarté de son toucher et de son positionnement contribue à aider le patient à sortir de sa propre confusion émotionnelle.

Didier de Buisseret

www.therapeute-debuisseret.be

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8 commentaires pour “Le transfert amoureux, la gestion en vue de sa limitation

  1. KaMinos

    Bonjour Didier

    Bel article tout en simplicité comme toujours. Merci.

    Petite question:
    Tu parles d’établir un cadre strictement baliser avec le patient afin que le transfert puisse s’exprimer sans qu’il soit dirigé vers le thérapeute. Cela sous-entends donc qu’il faut aborder la question avec le patient.
    Selon mes expériences, si le transfert est très souvent et clairement « palpable », je perçois par ailleurs une zone de gène, de secret, de tabou,… que le patient n’est pas enclin à dévoiler.
    Dans quelques cas ou le transfère empiétait de trop dans la zone de soin, j’ai aborder le sujet afin de clarifier la situation et (re)placer le cadre patient/thérapeute. Dans ces cas-là le patient a totalement nié l’existence d’un tel transfère (pourtant plus qu’évident). Ce qui a créé une fermeture de sa part et l’échec du soin.
    Je tente pourtant de le faire par une distance qui n’est ni froide ni cassante et, au contraire, avec beaucoup d’empathie et d’écoute. Il semblerait que je m’y prenne mal.
    Pourrais-tu de manière plus pratique expliquer comment tu places un tel cadre sans que le patient ne se rebiffe ?

    Merci.

    1. Didier de Buisseret

      Je n’ai pas de recette miracle et ce qui fonctionne avec l’un peut rater avec l’autre… Dans un travail corporel – et a fortiori le massage tantrique -, le risque de transfert et d’ambiguïté est plus important que dans une thérapie verbale; raison pour laquelle j’aborde souvent cette question préventivement lors de la première séance. J’en parle de façon générale, sans viser spécifiquement la personne, en dédramatisant la chose : ça arrive régulièrement, ce n’est pas grave, ce n’est pas le signe d’un grave manque ou d’une pathologie, ça n’a rien d’honteux et moi je suis très à l’aise avec ça. J’essaie de désamorcer toute honte ou malaise en étant très cool avec ça, en en parlant librement et en l’abordant avec plein de bienveillance. Cela n’empêche pas que certaines personnes continueront à ne pas le reconnaître. Dans ce cas, je ne les pousse pas dans leurs retranchements et je me contente d’en reparler de façon générale, sans viser la personne, de façon à ce que le message puisse percoler à son aise. Et je suis d’autant plus attentif à n’émettre aucun message ambigu, quitte à reprendre un peu plus de distance. Il m’est aussi arrivé de devoir clarifier de façon plus explicite, avec pour conséquence le départ définitif de la cliente (mais cela peut parfois aussi permettre de voir que sa motivation à venir en séance n’était plus vraiment d’ordre thérapeutique…). On peut en reparler plus en profondeur en messages privés, si tu le souhaites.

    2. Didier de Buisseret

      Ce qui peut rassurer la personne en transfert et l’aider à mieux assumer cet état, c’est de ne pas y accoler d’office l’adjectif « amoureux » quand ce n’est pas justifié. Un transfert peut ne pas être en lien avec une attirance sexuelle ou amoureuse, cela peut être de l’ordre de l’admiration, le fait de considérer que tout ce que dit ou fait le thérapeute est magnifique et source d’Évangile… Il est souvent plus facile d’inviter la personne à reprendre un recul et un certain sens critique que de lui faire admettre qu’elle est en dépendance affective.

  2. Niaz

    Bonjour Didier et merci pour ta réponse

    Il est certain qu’il n’existe pas de recette miracle et que chaque situation est particulière, même si (à mon sens) un fil conducteur identique relie les différentes situations.
    Les personnes que je reçois sont majoritairement des femmes et, par ailleurs, mes pratiques visent principalement à dénouer les nœuds affectifs entravant. L’idéalisation du thérapeute (masculin) est donc presque toujours présente, à différents degrés. Dans mon approche thérapeutique, c’est là que se trouve la racine de la projection amoureuse (plus rare).

    Après réflexion je pense que j’ai eu la réponse à ma question : parler de façon (encore) plus générale, sans viser spécifiquement la personne.
    A mon sens c’est là que je dois d’avantage porter mon attention.

    Merci Didier pour ton précieux éclairage.
    Bonne journée.

  3. Camille

    Bonjour Didier,

    J’ai un long chemin derrière moi, à la fois en tant que patiente de thérapies très diverses, et désormais en tant que thérapeute.

    Le problème, c’est que j’ai une sorte de déformation professionnelle à l’extérieur dans ma relation à autrui…
    Une sorte de rôle prédominant à être l’enseignante, la guérisseuse, la maman, la soignante… Etc c’est comme une perte d identité partielle.

    Est ce un phénomène que tu connais ? Je connais d’autres thérapeutes qui en souffrent. Nous sommes généralement des personnes ayant connu des abus très tôt dans l’enfance.

    Si tu as un avis là dessus, ça m’intéresserait.

    Camille

    1. Didier Auteur du post

      Bonjour Camille.
      J’ai la chance de ne pas avoir subi d’abus mais je crois comprendre de quoi tu parles. A travers l’enseignant ou le thérapeute qui prend à chaque fois le dessus, n’est-ce pas le syndrome du « sauveur » qui s’exprime ? Et à travers lui, n’est-ce pas une sorte de fuite pour ne pas s’occuper de soi ? Pas tant par sens du sacrifice mais plutôt comme une fuite, pour ne pas devoir aller voir à l’intérieur de soi-même et rencontrer ses parts blessées ?
      A toi de voir si cela te parle.
      Belle journée
      Didier

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