Présence à soi

Hommes et femmes : deux facettes de la même pièce ?

Shiva et Shakti

Shiva et Shakti

Les hommes et les femmes fonctionnent-ils différemment ou sont-ils finalement semblables ? Cette question taraude toutes celles et tous ceux qui éprouvent des difficultés à harmoniser leurs relations amoureuses.

La question de l’inné et de l’acquis

Il y a de nombreux points de vue à ce sujet. A un extrême, certains considèrent qu’une distance cosmique sépare les hommes et les femmes, au point de se demander s’ils viennent d’une même planète. A l’autre bout du prisme, certains estiment que les hommes et les femmes auraient au contraire un fonctionnement totalement identique s’ils n’étaient pas soumis à un conditionnement social destiné à perpétuer les valeurs et la domination du patriarcat.

Pour reprendre la distinction entre l’inné et l’acquis, il y a donc d’un côté ceux qui considèrent que sur le plan comportemental (pour ne pas citer le physiologique), il y a des différences majeures entre hommes et femmes dès leur naissance et, de l’autre côté, ceux qui pensent que ces différences ne sont dues qu’à notre éducation et aux divers conditionnements de notre milieu socio-culturel et n’existeraient pas dans un environnement totalement neutre.

Le point de vue scientifique

Avant, on considérait que ces différences comportementales entre hommes et femmes tenaient purement de l’inné. Puis à partir de l’essor du féminisme, il y a eu une tendance inverse disant que c’était exclusivement de l’acquis (influence du milieu, éducation…). Aujourd’hui, les scientifiques semblent s’accorder pour dire qu’en fait, on ne sait pas trop car il y a une telle imbrication entre l’inné et l’acquis s’influençant mutuellement que la pelote de laine n’est pas simple à démêler.

Il est vraisemblable que la toute grande majorité de ce qui est communément considéré comme des différences hommes-femmes tient en réalité de l’acquis. Mais, au niveau de l’inné, il semblerait néanmoins probable qu’il subsiste des différences entre hommes et femmes dues à l’action des gènes, des hormones, voire à une organisation neuronale sexuée (mais sachant que cet inné a lui aussi été pour partie façonné au cours des siècles par nos comportements, autrement dit par de l’acquis…).

Il est indubitable qu’il existe des différences hommes-femmes d’ordre biologique et hormonal. Dès lors que les liens et les interactions entre le corps et l’esprit sont légions (cfr les maladies psychosomatiques, par exemple), il ne paraît pas vraisemblable que ces différences d’ordre biologique et hormonal n’aient aucune incidence sur notre comportement. Que, par exemple, le taux de testostérone n’influe en rien me semble contraire au bon sens. Castrez un animal mâle et vous verrez si son comportement reste identique…

Mais quant à savoir si cet inné a une influence autre que marginale, ce n’est pas clair… La plupart des scientifiques semble donc d’accord pour dire que dans les différences hommes/femmes, il y a une grosse part d’acquis et une petite part d’inné. Mais personne n’est en mesure de dire si le pourcentage de pur inné est de 5 ou de 15%.

L’inné ne donnerait qu’une « tendance » que façonne ensuite l’environnement, à savoir l’acquis. Il faut aussi ajouter qu’à la différence des animaux, l’être humain a une capacité de réflexion sur lui-même. Cette capacité à « civiliser » ses instincts lui permet aussi d’avoir une certaine maîtrise sur cet inné et, dans une certaine mesure, à le remodeler en fonction de ses choix.

La part d’acquis

Qui dit acquis dit « construction susceptible d’être déconstruite ». Hommes comme femmes, nous avons la possibilité de ne pas rester enfermés dans les stéréotypes et les clichés sexistes que nous avons tous intégrés depuis toujours : un homme ne montre pas ses émotions et doit être fort, une femme ne fait pas le premier pas, un garçon ne joue pas à la poupée et une fille ne joue pas au foot, la douceur et la sensibilité sont une caractéristique féminine, la prise d’action et les raisonnements rationnels sont le propre des hommes, les hommes s’épanouissent au niveau professionnel tandis que les femmes sont moins carriéristes et privilégient l’éducation de leurs enfants, les hommes ont une forte libido et les femmes préfèrent la tendresse… La liste est infinie.

Réaliser qu’il n’est pas inéluctable pour une fille d’aimer la couleur rose ou pour un garçon de jouer au football permet aussi de prendre conscience qu’il n’est ni pertinent, ni utile, ni sain d’utiliser à tout bout de champ le critère de distinction hommes/femmes, dès lors que ce qui nous rassemble et nettement plus important que ce qui nous différencie.

La part d’acquis dans nos comportements sexués étant très majoritaire et ayant donc un impact important sur nos vies, il est souhaitable d’en prendre conscience, de façon à se dégager des normes imposées socialement et de décider librement d’être qui l’on souhaite. Il est aujourd’hui possible de déconstruire les coutumes, les usages, les traditions…, de façon à n’en conserver que ce qui fait encore sens pour nous aujourd’hui et d’actualiser ou de rejeter ce qui n’a plus de raison d’être.

Chaque être humain serait plus complet, plus épanoui, s’il s’autorisait à développer ses parts de lui-même qu’il censure parce qu’associées à l’autre sexe.

S’aventurer sur les territoires que l’on croyait être la chasse gardée de l’autre sexe ne pourra par ailleurs que favoriser la compréhension entre hommes et femmes, même s’il faut garder à l’esprit que la compréhension entre êtres humains, quel que soit leur sexe, passe avant tout par la capacité à communiquer, c’est-à-dire par la faculté à identifier ses émotions et ses besoins et à les formuler à l’autre et, dans l’autre sens, par la faculté à accueillir la parole de l’autre et à identifier les besoins qui s’y trouvent.

La part d’inné

Une fois que l’on a écarté les conditionnements et les clichés, il reste malgré tout des nuances entre hommes et femmes autres que strictement biologiques, diversement réparties suivant les personnes : c’est l’inné.

Cette part d’inné existe et nous détermine pour partie, qu’on le veuille ou non.

Sans la mettre plus en avant que son faible pourcentage ne le justifie, cette part d’inné fait partie de nous et ce serait se couper d’une part de soi même que de la nier. Il est évidemment possible de la modeler mais à mon avis uniquement à la marge, sous peine de renier trop fortement qui on est intrinsèquement.

Si nous sommes nés incarnés dans un corps de femme ou d’homme c’est, à mon avis, pour faire l’expérience d’une vie sexuée où être l’un ou l’autre sexe n’est pas totalement interchangeable. Et il faut s’en réjouir car c’est une richesse.

C’est cette part irréductible d’inné qui parle tant aux lectrices et lecteurs d’un livre comme « Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus ». Au-delà de quelques traits caricaturaux, ce livre vient toucher une réalité et les gens s’y retrouvent. Mais si cette théorie trouve un fondement sur les plans émotionnel et comportemental, ces distinctions ne tiennent par contre plus sur le plan de l’âme, dès lors que notre âme n’est pas sexuée. Lorsque nous rencontrons une autre personne d’âme à âme, la compréhension et l’échange est aussi total qu’immédiat vu qu’il n’y a plus rien qui différencie l’homme de la femme. Dès que je ne m’identifie plus à l’ego, que je quitte le plan matériel pour plonger plus en profondeur dans mon identité, toute différence s’annihile.

Les polarités

Pour parler de ces concepts, le Tantra utilise les principes de polarités masculine et féminine. La polarité masculine incarne l’extériorité, l’action, la rationalité, tandis que la polarité féminine représente l’intériorité, la réceptivité, l’intuitivité…

Ces termes de polarités féminine et masculine restent cependant imparfaits à mes yeux, dès lors qu’ils contribuent à renforcer la fausse croyance que les caractéristiques d’une polarité sont réservées au sexe qui lui correspond (l’action est du ressort des hommes, tandis que la douceur est une prérogative féminine, par exemple). Je préfère utiliser les termes proches – mais moins connotés à nos yeux occidentaux – de yin (principe féminin) et de yang (principe masculin), issus de la philosophie taoïste.

Ces notions peuvent être rapprochées des concepts d’anima et d’animus développés par le psychiatre Carl Gustav Jung. Dans sa psychologie analytique, Jung y voit deux archétypes, c’est-à-dire des formations de l’inconscient collectif. Selon lui, l’anima est la représentation du féminin au sein de l’imaginaire de l’homme (et constitue sa part féminine), tandis que l’animus est la représentation du masculin au sein de l’imaginaire de la femme (et constitue sa part masculine). En développant sa maturité psycho-affective par le processus de l’individuation, l’homme va intégrer dans son Masculin tous les éléments du Féminin.  Dans une perspective plus mystique, Jung voit dans ces figures non seulement des archétypes (la femme primitive, la femme d’action, la femme de la sublimation et la femme-sage) mais également des formes de conscience vivantes et agissantes (Kali, Déméter…) qui l’accompagneront lors du processus d’individuation à réaliser sa nature divine.

Dans la continuité de Jung, une auteure comme Clarissa Pinkola Estés reprend le concept d’anima pour décrire la femme sauvage, étant la femme qui en paix avec son animus aurait réussi à se libérer et à faire « jaillir » naturellement la force et la puissance intérieure et profonde de la femme.

Le yin et le yang sont deux forces antagonistes mais complémentaires. En Tao, cette unité qui transcende la dualité se retrouve dans le féminin/masculin mais également dans toutes les autres oppositions complémentaires : soleil/lune, chaud/froid, plein/vide, clarté/sombre… L’harmonie du monde est maintenue grâce à l’équilibre de ces deux forces en éternel changement.

A l’inverse de la philosophie occidentale qui sépare et divise, la pensée orientale pense la dualité sous forme de complémentarité : le yin est dans le yang, et inversement. Ils sont les deux parties d’un seul tout, chacune de ces parties renfermant les qualités de la partie complémentaire. Cela est illustré dans le symbole du Yin et du Yang : il y a un point noir dans le blanc, et un point blanc dans le noir.

Dans cette conception, cela n’a donc pas de sens de séparer le yin du yang pour en faire deux entités distinctes, dès lors que l’une n’existe que par et en opposition à l’autre.

La complémentarité

Nous avons donc tous en nous de ces deux polarités, même si le yang est en moyenne plus présent naturellement chez l’homme et le yin plus présent chez la femme.

Les capacités yin d’accueil, de réceptivité, de sensibilité, de capacité relationnelle… sont (en moyenne) intrinsèquement plus présentes chez les femmes et ce sont des qualités admirables en soi. Si elles ont hélas contribué à la subordination des femmes, c’est parce que ces valeurs sont dénigrées dans un monde patriarcal dirigé par des hommes, qui les dévoient en des synonymes de « passivité », de « soumission », « d’émotivité »…, ce qu’elles ne sont pas du tout.

Jusqu’à ce jour, ces distinctions ont été un outil de domination. A nous d’en faire une opportunité. Pour les deux sexes. Une belle et efficace façon d’amener à plus d’égalité entre sexes serait de valoriser les spécificités féminines, d’intégrer l’idée qu’elles sont aussi valables que les masculines et méritent toute autant de considération. Je crois que c’est la seule vraie voie d’avenir possible. Entre autres par le fait qu’elle implique un partenariat inévitable. En effet, cela implique que chaque genre ait besoin des spécificités de l’autre genre pour que la palette soit complète. Une fois que nous en auront pris vraiment conscience, toute lutte de domination, de vision de l’autre sexe comme une menace ou comme une proie, perdra tout sens et la collaboration s’imposera comme seule option sensée.

Je suis convaincu que l’avenir du genre humain passera par la reconnaissance de la richesse et de la complémentarité de nos différences. Je crois fermement que si, pour les deux sexes, cette part d’inné est réhabilitée, assumée avec la fierté qu’elle mérite et considérée pour sa réelle valeur, elle contribuera à l’égalité et à l’harmonie entre les sexes, bien plus qu’à une confrontation ou à une domination de l’un sur l’autre.

La complétude

Dépasser la rivalité, la dualité entre le yin et le yang en reconnaissant leur complémentarité ne signifie pas qu’il existe une dépendance ontologique entre les sexes. Je lutte justement contre ce mythe de « la moitié d’orange », hérité de Platon, selon lequel chaque homme sent confusément qu’il est amputé de quelque chose et que la femme constitue cette moitié qui lui manque (et inversement). Croire cela renforce la dépendance affective. A chacun au contraire de se développer pour ne pas être en manque de l’autre, à devenir suffisamment complet pour atteindre un degré d’autonomie affective lui permettant d’être en relation avec l’autre, non par besoin mais par amour.

Pour cela, le Tantra invite chacune et chacun à développer au maximum ses deux polarités, de façon à être le plus complet possible et à ne pas ressentir le besoin de combler à l’extérieur mes manques intérieurs. Et ce n’est pas parce que je développe mon yin que mon yang s’affaiblit pour autant. Les deux sont complémentaires : j’ai besoin de mon yin pour pouvoir m’abandonner à la puissance de mon yang.

Il est également important d’arriver à un équilibre harmonieux entre ses deux polarités. Un déséquilibre caractérisé par un excès de yang par rapport au yin donnera un sujet (homme ou femme) enclin à la force et la violence, très à l’extérieur de lui et dans la matière. Par contre, si le déséquilibre penche du côté du yin, le sujet sera excessivement intériorisé, inapte à la prise de décision et fort peu ancré dans la matière et dans le concret.

Cette idée d’inviter les hommes à devenir plus yin et les femmes à devenir plus yang se retrouve aussi dans la thèse de l’androgynat chère à l’auteure Paule Salomon : en équilibrant et en complétant ses deux polarités, chaque femme et chaque homme tend vers l’être androgyne.

A cet égard, les statues tantrique de Shiva et Shakti qui s’unissent (telles que celle qui illustre le présent article) représentent avant tout l’union du principe Masculin et du principe Féminin au sein de chaque personne, plutôt que l’union d’un homme et d’une femme.

Mais pour qu’une femme ressente l’envie d’être plus yang, il est nécessaire qu’elle soit en présence de belles énergies masculines bien centrées et alignées, dont la puissance ne soit pas synonyme de violence ou de prédation. De même, pour qu’un homme ressente l’élan de se connecter plus à son yin, il devra être inspiré par des femmes qui auront su assumer et laissé s’épanouir pleinement leurs magnifiques spécificités.

Dès lors que notre monde continue de souffrir d’un excès de yang (guerres, matérialisme exacerbé…), j’essaie dans ma pratique quotidienne d’accompagner les femmes à réhabiliter leur Féminin, à aller vers plus d’amour d’elle-même et de leur essence, pour que l’homme ait un modèle de yin duquel s’inspirer pour aller vers plus d’équilibre et d’harmonie tant au niveau individuel qu’au niveau collectif.

Didier de Buisseret

www.therapeute-debuisseret.be

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6 commentaires pour “Hommes et femmes : deux facettes de la même pièce ?

  1. Deconinck Fabienne

    génial et merci …

    En chemin vers l’intégrité , la complétude , l’androgynat …… lentement …..surement !
    très intéressant .

    NAMASTE Fabienne

  2. Olivier

    Superbe texte merci Didier, je n’avais pas encore eu l’occasion de le lire. Ça me fait aussi aux alchimistes qui essaient de littéralement fusionner le masculin et le féminin. Belle journée !

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