Présence à soi

Faut-il travailler en priorité sur soi-même avant d’agir sur le monde ?

Être reliés

Être reliés

Dans le précédent article (Soyons spirituellement incorrects), j’évoquais le risque d’éloignement de soi lorsque, par souci de correspondre à un idéal, nous nous imposons des règles extérieures avant de les avoir réellement intégrées. Ainsi, si le moteur d’une bonne action n’est pas l’amour ou la compassion mais le sens du devoir ou le sentiment « qu’une personne spirituelle est censée faire comme ça », le fait de s’obliger à faire cette bonne action ne nous rendra généralement pas plus spirituels. Au contraire, cela risque même de créer en nous des dissociations qui nous éloigneront de notre authenticité.

De cela m’est venue l’idée du thème du présent article : faut-il alors travailler en priorité sur soi-même avant d’agir sur le monde ?

A titre d’illustration, je pensais parler de questions écologiques mais le thème de la violence dans le monde semble s’imposer de lui-même suite aux récents attentats à Paris.

De nombreuses personnes se demandent que faire. Sur les réseaux sociaux, les invitations et les exhortations vont en tous sens : ouvrir ou fermer nos frontières ? Répondre par l’amour ou par le glaive ? Réaffirmer ses valeurs ou comprendre celles de l’autre ? Quelles que soient leurs motivations, la plupart de ces propositions se placent prioritairement sur le plan du « faire », et non de l’être.

Priorité de l’être sur le faire

Amplifiés par la gravité des circonstances, beaucoup de ces messages aspirant à un monde meilleur laissent transparaître un profond désarroi, une grande confusion émotionnelle. Et je peux voir que, pour partie, cette confusion résonne en moi : une part de moi est sereine et une autre a peur, une part de moi est dans l’amour, l’autre dans la volonté de répliquer, une part de moi est dans l’accueil et l’autre dans la méfiance… Toutes ces dissociations à l’intérieur de moi créent des tiraillements et contribuent à susciter une forme de violence, qui ne peut que rejaillir à l’extérieur.

Il ne peut pourtant y avoir de paix à l’extérieur s’il n’y a pas de paix à l’intérieur.

Tant que nous avons en nous de la violence sous quelque forme qu’elle soit, nous pouvons poser n’importe quels actes, cette violence se reflétera d’une façon ou d’une autre dans notre action. Le chantre de la non-violence, Gandhi, disait : « La personne qui n’est pas en paix avec elle-même sera en guerre contre le monde entier » (Gandhi).

Quiconque souhaite contribuer à plus de paix dans le monde devrait dès lors en priorité regarder en lui, prendre conscience des parties de son être qui sont tiraillées, les accueillir avec amour et les amener vers la conscience et la lumière. Alors qu’elle était aux portes des chambres à gaz, Etty Hillesum écrivait encore : « Je ne crois plus que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur, que nous n’ayons d’abord corrigé en nous ».

A travers mes parts morcelées, je vis à l’intérieur de moi l’expérience de la séparation. Comment pourrais-je en même temps avoir l’intuition qu’à l’extérieur, je ne suis pas séparé des autres et que je ne fais qu’un avec le vivant ?

La priorité me semble donc d’abord de se connaître, d’être conscient de qui l’on est et des parts en soi qui méritent d’être encore réhabilitées. C’est l’absence de conscience de soi et d’être relié aux autres qui me paraît être la source de toute la violence dans le monde. En agissant sans prise de conscience préalable, nous nous contenterons perpétuellement de réparer d’une main ce que nous continuerons de démolir de l’autre… « Ce qui n’est pas pleinement compris se répète », disait Krishnamurti.

Nous faisons tous partie intégrante de l’univers et sommes en connexion permanente avec tout. Si chacun prend conscience de qui il est et agit en adéquation avec sa vraie nature, il ne pourra qu’agir en adéquation avec l’univers. Pour un être conscient d’être relié, faire preuve de violence envers un autre être vivant n’a plus de sens puisque cela équivaudrait à être violent envers une part de lui-même. Seul quelqu’un coupé de lui-même est susceptible de percevoir un ennemi à l’extérieur de lui.

En se plaçant directement sur le plan du « faire », nous interviendrons sur les conséquences mais pas sur la cause, qui est que nous ne sommes pas en harmonie avec nous-mêmes (et donc pas non plus avec l’extérieur, les autres, la nature…). En agissant d’abord sur le plan de l’être, nous irons directement à la cause.

Avec humour, le mystique soufi, Rûmi, disait : « Hier, j’étais intelligent, et je voulais changer le monde. Aujourd’hui, je suis sage, donc je veux me changer moi ».

Être dans le monde

Certains pourraient voir cela comme une forme d’irréalisme, une esquive de ses responsabilités, voire du nombrilisme ou de l’indifférence. Il ne s’agit cependant pas d’un message lénifiant disant « Laissez faire » ou « Ça ira mieux dans l’au-delà ». L’idée n’est pas de rejeter l’action mais de prendre conscience que le plus important travail à faire est en soi. Paradoxalement, être à tout prix dans l’action peut parfois aussi être une fuite évitant d’aller voir à l’intérieur de soi.

Pour moi, la spiritualité se doit d’être incarnée, en ce sens qu’elle a pour objectif de permettre de mieux vivre dans le monde, en relation avec ce qui nous entoure. Cela implique non seulement d’être mais également d’agir dans le monde, ce qui suppose de se donner les moyens de comprendre le monde et de disposer des leviers qui permettent d’agir sur lui.

Il ne s’agit donc pas d’esquiver la réalité extérieure, puisqu’on la retrouve en se connectant à soi-même, les deux étant intimement reliés, mais de provoquer un changement plus en profondeur qu’en étant simplement dans l’action de manifester en rue ou de signer des pétitions.

Il est aussi important de réaliser que le travail de prise de conscience de qui l’on est peut également mener à l’action. Quelqu’un qui sait qui il est aura une vision claire de ce qu’il a à faire, de son rôle dans le monde. Si, dans son être, il se sent appelé à agir afin d’influer sur une situation, il agira. Mais ce sera alors une action empreinte de justesse, en parfaite adéquation avec le monde, puisqu’en parfaite adéquation avec lui-même.

Cette congruence sera perceptible par d’autres et sera alors un exemple convainquant, susceptible de les influencer positivement,  bien plus qu’en les éduquant ou les culpabilisant : « Nous faisons les choses correctement par sens du devoir mais nous les faisons admirablement par amour » (Ph. Brooks).

Cela ramène à la conclusion du précédent article (Soyons spirituellement incorrects) : arpenter le trottoir avec une pancarte « peace & love » aura peu d’impact sur les autres car ils n’auront pas profondément intégré le message. En revanche, s’ils sont invités à faire ce travail d’intériorisation et prennent conscience de leur état d’interconnexion au-delà de leurs dissociations, la question de la violence n’aura même plus à être posée.

Je conclurai par une autre célèbre phrase de Gandhi (pour qu’il me pardonne de l’avoir un peu égratigné lors de mon précédent article…) :  » Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde« . Si on la lit attentivement, cette phrase ne dit pas « faites le changement, agissez » mais « soyez le changement », ce qui place bien son invitation sur le plan de l’être, avant celui du faire.

Didier de Buisseret

www.therapeute-debuisseret.be

N’hésitez pas à partager cet article, en le reprenant intégralement, sans modification ni coupure, et en citant sa source (www.presenceasoi.be)

7 commentaires pour “Faut-il travailler en priorité sur soi-même avant d’agir sur le monde ?

  1. Anne

    J’aime beaucoup vos articles, celui-ci est particulièrement d’actualité.
    Je l’ai partagé sur Facebook et à d’autres amis. Merci beaucoup de prendre le temps d’écrire ces longs articles sur la spiritualité « incarnée », pour moi, c’est une évidence mais je n’aurais pas su le décrire comme vous le faites de manière magistrale. Merci beaucoup.

  2. annick

    Quelle vérité et justesse!
    Cela me fait un bien fou de lire ce texte et me redonne l’espoir en l’être humain et en sa bienveillance.
    Trouvons tous notre paix intérieure afin qu’elle brille pour notre planète .
    Merci de nous rappeler cette évidence:tout se trouve au fond de nous,l’ombre et la lumière.Offrons-nous un moment de sérénité face au tumulte qui nous entoure et notre coeur ,affranchi de ses peurs,trouvera la clairvoyance .

  3. Murielle

    Bonjour Didier, très joli article, où il est très bien décrit les tiraillements par lesquels je suis passée la semaine dernière, et la violence qu’i en émergeait…

    Il y a quelques temps, j’ai lu un livre de Christophe André, Jon Kabat-Zinn, Pierre Rabhi, et Matthieu Ricard:
    « Se changer, changer le monde : Ils proposent des solutions pour mieux vivre ensemble »
    La vision des auteurs était effectivement qu’on ne peut réellement changer le monde qu’en se changeant soi-même, et que du principe d’interconnexion découle un changement du monde à partir du moment où l’on se change soi… Ceci dit, je pense vraiment que c’est plus compliqué de se changer soi-même et de travailler sur l’être que de changer l’environnement extérieur et de faire…, et cela demande beaucoup plus de temps. qu’on n’a pas toujours…
    Sujet d’actualité et assez délicat, en tous les cas. Personnellement, j’ai retrouvé la paix, en allant me nettoyer énergiquement dans les bois, et en méditant… et en évitant les messages négatifs!

    1. Didier de Buisseret

      Oui, Murielle, ce n’est pas simple, même si j’ai le sentiment que de plus en plus de gens empruntent ce chemin. Malgré (ou du fait de) son escarpement, la vue y est quand même plus belle…

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